Allez-y one-shot à la fois !

One-punch, one-shot, même combat !!! Soyez prêt.e à devenir le Saitama du manga !

Littéralement. L’écriture d’un manga, ça donne souvent de quoi s’arracher les cheveux. Mais bonne nouvelle pour votre scalp, je vais vous parler ici de l’intérêt de passer par le one-shot.

Si vous connaissez Saitama, outre sa perte de cheveux, vous savez qu’il s’est entraîné comme un dingue pour atteindre son niveau. Et bien prenez l’écriture de one-shots comme l’entraînement qu’il vous faut avant les combats épiques.

/! ATTENTION /! Cet article contient des spoilers. On vous prévient, vous serez prévenu.e.s !

Qu’est-ce qu’un one-shot ?

Sur wikipédia, on trouve la définition suivante :

Dans le domaine de la bande dessinée, en particulier un manga ou un roman graphique, un one shot (anglicisme signifiant littéralement « coup unique ») est une publication sous forme d’album dont la trame se résout en un seul volume, par opposition au format série dans lequel une histoire fait l’objet de plusieurs épisodes, édités en plusieurs tomes. 

https://fr.wikipedia.org/wiki/One_shot_(bande_dessin%C3%A9e)

Vous l’avez compris, un one-shot est une histoire courte. Sa longueur maximale est d’un tome. Au-delà, on va parler de série, même si la série ne contient que deux tomes (série courte, ou petite série, ou encore mini-série).

Qui peut écrire un one-shot ?

Tout le monde ! Que vous soyez débutant ou expert !

Un des avantages du one-shot, c’est que son nombre de pages peut varier de 8 pages à 1 tome (entre 180 et 220 pages) ! Si vous débutez et que le nombre de pages d’un tome vous fait peur, rien ne vous empêche de commencer plus court ! Si vous êtes expert, rien ne vous en empêche non plus ! Dans votre cas, c’est un exercice très pratique pour tester un nouvel univers par exemple, ou une nouvelle façon d’encrer … !

Petite anecdote : au Japon, les maisons d’édition recrutent leurs nouveaux auteurs par le biais de concours de one-shots. Les auteurs des one-shots gagnants obtiennent un prix et un contrat dans la maison d’édition pour laquelle ils ont concourus et souvent, leur première série est une version étendue de leur one-shot (cf. Death Note, The Promised Neverland, etc.)

Dans ce recueil de one-shot intitulé "Death Note : short stories", retrouvez le one-shot pilote du manga Death Note : Tarô Kagami.
Dans ce recueil de one-shot intitulé « Death Note : short stories« , retrouvez le one-shot pilote du manga Death Note : Tarô Kagami.
"We were born", one-shot pilote du manga "The Promised Neverland", par Kaiu Shirai et Posuka Demizu, paru dans un numéro double du Weekly Shônen Jump, paru début Janvier 2021. Source : Anime News Network
« We were born », one-shot pilote du manga « The Promised Neverland », par Kaiu Shirai et Posuka Demizu, paru dans un numéro double du Weekly Shônen Jump, paru début Janvier 2021. Source : Anime News Network

Écrire un one-shot, une histoire de level up

Vous vous demandez peut-être pourquoi écrire des one-shots quand vous avez déjà une idée d’histoire que vous développez depuis l’enfance, que vos personnages sont bien définis dans vos têtes, que votre univers est hyper complet, et que votre histoire ne tiendra jamais en un seul tome ?

Et bien laissez-moi vous parler de l’expérience que j’ai en tant qu’artiste en début de carrière, mais aussi en tant que prof de manga depuis huit ans et en tant que personne que certains scénaristes sollicitent pour présenter leurs histoires.

Niveau 1 : Aller à l’essentiel

Une des premières difficultés que l’on rencontre quand on débute dans l’écriture, que le projet soit déjà hyper développé ou pas, c’est l’incapacité à aller à l’essentiel.

« Alors, mon histoire c’est celle d’une princesse… enfin, elle est princesse mais pas vraiment parce que… bon attends, faut d’abord que je te parle de l’univers, parce que dedans, les princesses, elles sont élues tu vois,… ah et je sais pas si je l’ai dit, mais c’est pas médiéval, … »

Je caricature volontairement, mais c’est grosso modo ce qu’il se passe quand un auteur ne sait pas trier les informations qu’il crée et qu’il se lance dans le récit. Le résultat est souvent très fourni en détails, si bien que le lecteur perd de vue l’essentiel et qu’à la fin, il ne reste qu’un sentiment de perte de temps ou de confusion totale.

Avoir énormément d’idées, ce n’est pas du tout un mal, bien au contraire ! Mais il faut savoir les hiérarchiser et parfois les sacrifier sur l’autel de la scène ou du détail inutile (snif… RIP).

Aller à l’essentiel, c’est trier ses idées par ordre d’importance.

Importante pour transmettre le message qui a motivé l’histoire.

Importante pour la cohérence de l’histoire.

Importante pour le développement des personnages (et en priorité, le personnage principal).

Importante pour moi parce que … (j’ai envie de dessiner le personnage dans cette situation, cette scène est trop cool, ce détail me plait, etc.).

Vous vous doutez que tout ce qui rentre dans la 4ème catégorie va aller direct aux oubliettes.

Pour cette raison, écrire un one-shot va vous aider à faire le tri.

Démarrer par un projet court (voire très court), de quelques pages (je recommande 8, 16 ou 24 pages pour commencer) va vous contraindre à ne retenir que les informations essentielles sans quoi vous risquez de produire des pages surchargées et incompréhensibles.

Je me souviens que pour mon one-shot « À Vide », qui fait 8 pages, j’avais écrit tout un background pour le personnage principal.

C’est le genre de personne qui ne me plaît pas dans la vraie vie, alors j’allais éprouver de la difficulté à m’impliquer sérieusement dans son histoire : j’avais besoin de comprendre qui il est avant de pouvoir le dessiner correctement.

Bon, et bien sur 8 pages, aucune des infos liées à son background ne paraît. Tout simplement parce qu’il n’y a pas la place ! Ce one-shot m’a contrainte à me focaliser sur la gestion des actions et leur intensité.

"À Vide", Maylis, one-shot (2016) à lire sur Mangadraft
« À Vide« , Maylis, one-shot (2016) à lire sur Mangadraft

Niveau 2 : Clôturer un récit

Un autre problème récurrent, c’est l’absence de vraie fin aux one-shots que j’ai pu lire, qu’on m’a raconté, que j’ai écrit. Ces histoires sont présentées comme un one-shot, mais bien souvent, elles se trouvent être la scène d’ouverture d’une histoire plus longue et sérialisée.

Alors aujourd’hui, c’est difficile de trouver des exemples d’histoires réellement finies dans la culture pop-geek. Avec l’émergence des plateformes de vidéos à la demande, le nombre de séries a explosé et on ne regarde plus que des histoires à rallonge qui ne se terminent quasiment jamais. Même les films tendent à prendre ce pli (le meilleur exemple, ce sont tous les nouveaux films du MCU, en opposition aux premiers).

De quoi je parle, quand je dit « une vraie » fin ? Je parle d’une fin fermée. Une fin fermée est marquée par l’événement permettant au héros d’atteindre son objectif (ou d’échouer fermement et définitivement).

Par exemple, Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi est un bon exemple de fin fermée. Frodon et tous les personnages qui l’accompagnent ont accompli leur mission : l’Anneau unique est détruit, la Terre du Milieu est libérée du danger que représentait Sauron. Il n’y a plus rien à raconter après cela.

A contrario, Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l’Anneau, ou bien Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours, sont des histoires à fins ouvertes. Le premier se termine sur la séparation de la Communauté avec la mission principale (détruire l’Anneau unique) à peine commencée ; le deuxième se termine sur une victoire contre les forces du mal, mais il s’agit d’une bataille gagnée et non de la guerre.

Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l’Anneau
Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l’Anneau
Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours
Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours
Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi
Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi

Bien sûr, les personnages, tant qu’ils ne sont pas morts dans le récit, continuent de vivre, même après la fin du film, du roman, du manga (le fameux « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » des contes de fée). Mais l’histoire qui a été racontée avec eux avait un message à transmettre et n’a plus lieu d’être une fois que le message est transmis.

Quel est le problème lorsque l’on écrit un one-shot avec une fin ouverte ?

Une fin ouverte a deux fonctions :

1/Soit elle est due à un effet volontaire de l’auteur qui veut laisser planer un doute, une question, pour amener le lecteur à la réflexion (dans ce cas, la mission principale de l’histoire est tout de même accomplie). Un très bon exemple de fin ouverte dans le cas de la réflexion, est le film L’Associé du Diable, film un peu vieux maintenant mais dont le sujet est intemporel. Je ne vous révèle rien, si vous ne l’avez pas vu, la fin marque plus quand on ne se l’est pas faite spoiler (attention, pas pour jeune plublic).

2/Soit elle ne clôt pas la mission principale de l’histoire parce que l’histoire est déjà prévue en plusieurs volets (ce dont nous avons maintenant l’habitude avec les séries par exemple).

Écrire une fin ouverte qui n’a ni vocation à faire réfléchir le lecteur, ni vocation à amener une suite n’est rien d’autre qu’une faiblesse d’écriture.

Un exemple que je peux vous donner et qu’il ne faut pas faire, c’est ce que j’ai fait (haha, le fameux « faites ce que je dis, pas ce que je fais ») avec « Odán« , une petite scène de 13 pages. Pour la petite histoire, je voulais simplement tester une nouvelle méthode d’encrage et un décors médiéval et tracé sans règle.

Mais en termes de récit pur, ces 13 pages ne valent pas un clou : c’est une scène d’ouverture, mais qui n’amène pas de sujet d’histoire, pas même des infos sur les protagonistes. Bref, ne faites pas ça.

"Odán", contre-exemple, Maylis (2022), à lire sur Mangadraft
« Odán« , contre-exemple, Maylis (2022), à lire sur Mangadraft

Mais si jamais vous faites pareil, pas de panique, on est là pour apprendre et les erreurs font partie de l’apprentissage.

Pour éviter ce problème, encore une fois, une partie de la solution réside dans l’écriture de one-shot. Je l’ai mentionné un peu plus haut, mais une histoire a deux fonctions principales, généralement intrinsèquement liées :

1/Véhiculer un message à propos du sujet de votre choix (Qu’est-ce que la liberté ? Comment se remettre d’un deuil ? etc.)

2/Permettre au personnage principal d’atteindre son objectif ou d’échouer définitivement à atteindre son objectif (j’insiste sur définitivement ! Pas de « il échoue cette fois, mais il reviendra plus tard », non, non, il échoue et il n’aura plus jamais la possibilité de l’atteindre).

Avatar, le premier film
Avatar, le premier film

Par exemple, Avatar (les grands hommes bleus) : le message parle, selon moi, de la colonisation. Le personnage principal, qui fait partie des colons, souhaite retrouver l’usage de ses jambes qui sont paralysées.

Une fois arrivé à la conclusion du film, on est en mesure de dire quel est l’avis de l’auteur sur la colonisation et si le personnage principal retrouve l’usage de ses jambes. La scène finale regroupe d’ailleurs ces deux points.

Plus votre histoire est longue, plus le sujet est complexe, plus l’objectif du personnage principal est complexe à atteindre (à cause des conditions de l’univers, à cause de la condition mentale du personnage, etc.), et plus il y a de personnages aussi, qui ont eux aussi des objectifs qui doivent être atteints ou définitivement perdus.

Écrire un one-shot revient à se focaliser d’abord sur seulement le message de l’histoire et l’objectif du personnage principal (et c’est déjà pas mal!).

Niveau 3 : Multiplier les personnages et les lieux

Quand vous serez à l’aise avec le tri des informations et la clôture de l’histoire, il sera temps d’augmenter un peu plus la difficulté en ajoutant des personnages et en prévoyant plusieurs lieux différents.

La mise en scène d’une histoire comprenant plus de trois personnages et plus d’un lieu requiert une habileté au jonglage et à la rythmique.

Reprenons l’exemple du Seigneur des Anneaux. Si vous avez lu les romans, vous savez que chacun des trois tomes est divisé en deux parties (appelées livres). Dans les tomes 2 et 3, les personnages sont partagés en grosso modo deux groupes : Frodon et Sam d’un côté, le reste de la Communauté de l’autre.

JRR Tolkien à choisit d’écrire comme suit : Livre III : on suit Aragorn et toute la clique, Livre IV : on suit Frodon et Sam, Livre V : on suit de nouveau Aragorn et toute la clique, Livre VI : on suit de nouveau Frodon et Sam, et le livre VI termine le récit avec la réunion de toute la bande avant dissolution complète de la Communauté.

Que vous ayez lu les livres ou vus les films, vous savez que les parties touchant Frodon et Sam sont beaucoup moins intenses en actions : le rythme est plus lent, le combat est plus psychologique et on peut parfois s’ennuyer.

Là où le film sublime le roman, c’est quand Peter Jackson (le réalisateur) a choisi d’alterner des scène entre le duo Frodon-Sam et le reste de la Communauté, plutôt que d’avancer le récit par monobloc comme l’a fait JRR Tolkien (l’auteur): les passages entre Frodo et Sam deviennent tout à coup beaucoup plus digestes et ils offrent des moments de respiration aux événements que vit le reste de la Communauté.

C’est de cela dont il est question ici : rythmer un récit intelligemment quand tous les personnages n’évoluent pas tous ensemble au même endroit demande une connaissance de la mise en scène qui s’acquiert, à mon avis, beaucoup plus avec la pratique qu’avec la théorie.

Avec peu de personnages et peu ou pas de changement de lieu, il vous faut déjà apprendre à gérer les changements de scènes (L’article Comment composer une double-page en manga ? peut vous aider à vous mettre sur la voie). Il vaut mieux attendre d’être à l’aise avec ce point avant d’ajouter des complications en augmentant le nombre de personnages et de lieux.

Niveau 4 : Écrire en chapitres

Cela peut peut-être vous surprendre, mais le découpage d’un récit en chapitre ne se fait pas au petit bonheur la chance ou en suivant mathématiquement le nombre de pages (quoi que sur ce point, on peut peut-être faire quelque chose).

Il vous faut d’abord visualiser un manga comme une poupée russe : le manga est un récit composé de plein de petits récits, eux-mêmes composé de petits récits, etc. Vous avez l’idée ?

Plus précisément, je parle de construction du récit. Les fameux : introduction, élément perturbateur, développement, élément de résolution (de dénouement ou climax), conclusion.

Sur le schéma ci-contre, vous pouvez voir la construction pyramidale d’un manga. Un manga est composé de tomes, eux-mêmes composés de chapitres.

À l’échelle du manga, on va retrouver l’introduction, l’élément perturbateur, le développement, le climax, la conclusion. À l’échelle d’un tome, on va retrouver l’introduction, l’élément perturbateur, le développement, le climax, la conclusion. À l’échelle d’un chapitre, on va retrouver l’introduction, l’élément perturbateur, le développement, le climax, la conclusion.

Et même à l’échelle d’une page, on va retrouver cette composition (cf. l’article bidule).

Répartitions de l'histoire d'un manga par tomes puis par chapitres
Répartitions de l’histoire d’un manga par tomes puis par chapitres

Prenons une histoire en trois tomes. Les trois tomes vont être grossièrement répartis comme suit :
– premier tome = intro + élément perturbateur
– deuxième tome = développement
– troisième tome = climax et conclusion

Vous verrez qu’en manga, on considère souvent que l’élément perturbateur est inclus dans l’introduction : c’est à l’élément perturbateur que l’on sait que l’introduction est finie et que l’on va passer au développement.

De même, le climax et la conclusion vont souvent de paire : le climax est la grande scène finale après laquelle bien souvent, il est inutile de s’éterniser (ce qui veut dire que la conclusion est plus courte que le climax).

Un bon exemple pour ce découpage très scolaire est StarWars IV : Un nouvel Espoir.

Découpage de Star Wars IV : Un Nouvel espoir - L'introduction se termine quand Luke Skywalker quitte Tatouine (soit à la mort de son oncle et de sa tante) - À la fin du climax (explosion de l'Étoile Noire), on bascule très vite vers la conclusion (cérémonie de récompense).
Découpage de Star Wars IV : Un Nouvel espoir – L’introduction se termine quand Luke Skywalker quitte Tatouine (soit à la mort de son oncle et de sa tante) – À la fin du climax (explosion de l’Étoile Noire), on bascule très vite vers la conclusion (cérémonie de récompense).

Lorsque l’on regarde un tome de plus près, il est lui aussi divisé en introduction, développement, climax (pas de conclusion, sauf s’il s’agit de la fin d’un arc ou du dernier tome de la série) : le climax ici est en fait un « cliffhanger », une scène arrêtée au moment le plus intense pour donner envie au lecteur d’acheter le prochain tome (ou de regarder le prochain épisode #bingewatching).

Là, la répartition par chapitre de l’introduction, du développement et du climax varie selon les tomes et les auteurs. Si vous voulez un exemple mathématique, prenons l’exemple du premier tome d’une série. Admettons que le tome fasse 180 pages. Cela correspond à 7 chapitres de 20 pages et un chapitre (le premier) de 40 pages (c’est un format assez classique, notamment chez les shônen du Shônen Jump). Cela nous donne :
– premier chapitre (40 pages) = introduction + élément perturbateur
– les cinq (ou six) chapitres suivants = développement
– les deux (ou le) chapitres suivants = climax (et pas de conclusion, puisqu’il s’agit d’amener au deuxième tome).

Notez aussi que le climax du premier tome correspond à l’élément perturbateur de l’histoire complète. Vous suivez toujours ?

Les chapitres, eux aussi, sont découpés de cette manière et les différentes partie ont chacune un nombre de pages qui leur sont alloué. Il n’y a pas de règle précise pour le nombre de page, mais ce qui revient généralement, c’est que le développement et le climax sont les deux parties qui ont droit au plus de pages (parfois, le climax en a même plus que le développement).

Ce qu’il ne faut pas oublier dans cette méthode de découpage, c’est qu’une introduction contient souvent la conclusion allant avec le climax précédent.

Et si je veux pousser le bouchon jusqu’au bout, je vous dirais que même les double-pages constituant les chapitres sont composés d’introduction-développement-climax (et conclusion s’il s’agit de la fin d’une scène). Pour cela, je vous renvoie (encore) vers l’article Comment composer une double-page en manga ?

Le schéma ci-après résume ce qui vient d’être dit. Attention, il ne s’agit pas d’une règle immuable : une intro peut être plus longues que 5 pages, un développement peut être plus long que 4 chapitres, un climax peut être plus long qu’un tome, etc.

Le système de "poupée russe" dans le manga
Le système de « poupée russe » dans le manga

Vous l’aurez compris, il y a énormément de calculs à faire au moment de l’écriture du scénario et du storyboard pour parvenir à répartir convenablement son récit en tronçons qui sont rythmé quasiment de la même manière.

N’oubliez pas qu’à la base, les japonais lisent les manga chapitres par chapitres : chaque chapitre doit donner envie de lire le suivant (comme chaque épisode d’une série). Si vos chapitres parviennent à cet objectif, alors vos tomes, constitués de ces chapitres, devraient parvenir à donner envie au lecteur de lire le tome suivant.

Et n’oubliez pas qu’à la base des chapitres, il y a la composition des pages qui doit conduire à ce que le lecteur ait envie de tourner la page… ! Des poupées russes, j’vous dis !

Vous vous imaginez gérer le découpage en plus des dialogues et des déplacements avec plusieurs personnages, en plus de définir une fin fermée, en plus de trier les informations utiles à votre histoire, et en plus de toutes les règles de composition des pages et de l’image ?

Le one-shot, c’est la clé. Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Les petits cours d’eau font les grandes rivières. Qui peut le moins, pourra, à force d’entraînement, le plus (oui bon d’accord, celui-là, je l’ai arrangé à ma sauce).

Niveau 5 : Tester son endurance

Quand vous aurez atteint ce niveau, l’écriture de one-shot deviendra un test d’endurance. Parvenir à écrire un tome (180~220 pages) c’est bien, mais pouvoir enchaîner avec un deuxième, puis un troisième, etc., c’est mieux. Parce que, ne l’oublions pas, au départ, vous aviez un projet immense, prêt à rivaliser One Piece en longueur ! Il va falloir que vous teniez la distance. Alors là encore, peut-être qu’un ou trois tomes en one-shot avant la série, ça peut être une bonne évaluation de vos performances. Et toujours avec la possibilité de tester pleins d’autres paramètres comme des univers différents (punk-rock, médiéval, futuriste, historique, …), des styles différents (en dessins, en encrage), des tons différents (sérieux, humoristique, poétique,…), des thèmes différents (société, psycho, philo, …) !

Bilan

Vous êtes parvenu.e.s jusqu’ici sans vous endormir, bravo !

Écrire plusieurs one-shots, c’est apprendre progressivement à :

  • aller à l’essentiel en faisant le tri entre les informations nécessaires à l’histoire ou au personnage, et celles qui paraissent cool ou belles mais qui n’apportent rien de plus ;
  • clôturer un récit pour s’assurer une cohérence tout au long de l’histoire et se permettre d’explorer plusieurs sujets ;
  • gérer de nombre personnages et les changements de lieux ;
  • découper son récit en chapitres (puis en tomes) cohérents et équivalents en informations apportées et en rythme ;
  • tester son endurance face à la tâche que représente l’écriture d’une longue histoire.

Si vous souhaitez découvrir des one-shots écrits par des mangakas édités, je vous recommande les suivants :

Les trois premiers sont des tranches de vie, très bien écrites et avec une fin fermée. Attention, « My Broken Mariko » n’est pas pour un jeune public (accessible à partir de 16 ans je dirais). « Souvenirs en bataille » aborde le délicat sujet de voir vieillir un proche, et surtout de le voir perdre la mémoire. Comme toutes les tranches de vie, on peut avoir l’impression que l’histoire ne finit pas, mais c’est ce que j’expliquais plus haut, c’est parce que les personnages continuent de vivre après le récit.

Les deux derniers recueils sont écrits et dessinés par les mangaka de « The Promised Neverland ». Shirai-sensei est un très bon auteur qui sait terminer ses histoires. Et son travail est excellemment mis en scène par Demizu-sensei. De belles leçons à chaque lecture.

Conclusion

Oui, il y a beaucoup à dire sur les difficultés que l’écriture d’une histoire représente. Lorsque l’on est mangaka, on touche à tout : scénario, dialogues, mise en scène, jeu d’acteur, cadrages, dessin, encrage, cleaning numérique, post-production, graphisme… Mangaka, c’est du tout en un.

On se retrouve devant une batterie, une baguette dans chaque main, des pédales sous chaque pied, et il faut que ce que l’on joue soit harmonieux et rythmé. Et quand on croit que l’on maîtrise, on découvre les rythme à trois temps, puis les partitions à rythme multiples…

Être mangaka, c’est utiliser plusieurs paramètres et faire en sorte qu’aucun d’entre eux ne vienne contredire les autres…

Alors tout vouloir gérer d’un coup, c’est audacieux et ambitieux, et certain.e.s y parviennent. Mais pour celleux d’entre vous qui êtes des Saitama chevelu.e.s, je vous conseille d’y aller one-shot à la fois 🙂

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