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Si je vous dis « qu’est-ce qu’un manga shōjo ? », vous me répondrez surement « c’est un manga à l’eau de rose pour les filles ! »

C’est un raccourci facile sur lequel on peut apporter quelques compléments d’information car si vous voulez vraiment prendre la mesure de toute la complexité et singularité de cette ligne éditoriale, il faudra aller au-delà de cette simple définition.

Voyons ensemble d’où vient le manga shōjo et quelles en sont les caractéristiques pour, peut-être, vous inspirer à dessiner, vous aussi, un manga de ce genre.

Définition

Il s’agit d’une ligne éditoriale particulière, orientée vers un public féminin adolescent. Le terme « shōjo » en japonais signifie « jeune fille ». Né dans les années 20, au Japon, ce style de BD était encore très loin du format de manga qu’on connait aujourd’hui.

Les histoires se présentaient sous forme de strips humoristiques avec très peu de cases qui mettaient en scène des personnages dans leur quotidien. Il est important de relever l’intérêt déjà présent pour le genre narratif « Tranche de vie » et les relations entre amis, collègues, voisins, couples.

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Source Wikipedia

C’est surtout dans l’après-guerre et dans la mondialisation que l’essence même du manga shōjo a réellement vu le jour.

Dans les années 50, Osamu Tezuka, pionnier du manga contemporain, y apporte l’un des fondements du manga : l’émotion. C’est ça qui séduit le public féminin, que ce soit dans les graphismes ou la narration.

Dans les années 70, une forte demande se développe autour du manga shōjo avec pourtant un manque d’auteur pour cette ligne éditoriale. Des magazines de prépublication créent et recrutent des lectrices talentueuses notamment Hagio Moto, auteure de multiples histoires courtes telles que « Le cœur de Thomas » qui traite des sujets inédits comme l’homosexualité et qui par la suite, influencera le genre Yaoi.

Cette nouvelle génération d’auteures, quasi exclusivement féminine, s’inspire graphiquement de peintres occidentaux. En travaillant sur la représentation des corps féminins et en poussant les codes au maximum, on arrive au style « shōjo » qu’on connait aujourd’hui.

En lire plus sur l’histoire du manga shōjo sur Wikipedia.

Exemples de Shōjos connus

Le style shōjo a déjà produit de belles pépites. Voici quelques exemples de titres que vous pourriez connaître :

  • Nana (2000) de Ai Yazawa
  • Fruits Basket (1998) de Natsuki Takaya
  • Blue Spring Ride (2015) de Io Sakisaka
  • Vampire Knight (2004) de Matsuri Hino
  • Card Captor Sakura (1996) de CLAMP
  • Maid Sama ! (2006) de Hiro Fujiwara
  • Lady Oscar de Riyoko Ikeda
  • Sailor Moon de Naoko Takeuchi
  • Kare First Love de Kaho Miyasaka
  • Maison Ikkoku de Rumiko Takahashi
  • Lui ou rien de Yuu Watase

Je vous renvoie vers le site senscritique.com pour voir le top 80 des mangas shōjo.

Que retrouve-t-on dans les Shōjos ?

On a vu que les shōjos trouvent leur particularité dans les thématiques abordées : romances, triangles amoureux, tranches de vies et parfois un peu de fantaisie (magie, sorcellerie, etc).

Mais il y a aussi des œuvres inspirées de faits réels ou d’histoires européennes comme Lady Oscar, Princesse Sarah en animation ou encore Candy, avec d’autres thèmes abordés comme l’androgynie, la place de la femme, l’orphelinat.

Avec les nouvelles générations, les sujets s’adaptent au contexte actuel : délinquance, déscolarisation, harcèlement et abus dans des milieux familiers comme les lycées ou les réseaux sociaux… « LIFE » en est un bon exemple.

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Ressentez-vous la tension et la tristesse qu’évoquent ce personnage dont on ne voit même pas le visage ? C’est là toute la force du manga shojo !

Tous les shōjos ne sont pas tristes pour autant. L’humour est souvent bien présent pour permettre de traiter de sujets sérieux avec plus de légèreté.

On retiendra de tout ça, la place significative du relationnel dans le scénario des shōjos : couples, relations entre collègues, camarades de classes, amis, famille, hommes vs femmes, jeunes vs adultes, différences de classes sociales…

Quelle particularité dans la façon de raconter ?

Les thèmes sont souvent présentés depuis le point de vue unique de l’héroïne (Et oui ! très souvent, le personnage principal est une fille même si ce n’est pas une règle !).

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Alice 19th © Yuu Watase

Dans les shōjos, on met souvent les émotions et les sentiments au premier plan mais il est des héroïnes auxquelles on donne plus de responsabilités, comme… sauver le monde par exemple !

Quelques personnages type

L’héroïne : Souvent jeune, maladroite et bourrée de défauts mais toujours positive et enjouée, c’est le personnage auquel on peut s’attacher très facilement. On a envie de la voir triompher et franchir tous les obstacles !

L’amie et confidente : Ce personnage secondaire est très important pour l’héroïne, tantôt fille, tantôt garçon, il lui apporte un soutien sans faille.

Le « love interest » : C’est le personnage dont l’héroïne tombe éperdument amoureuse dès la page 3 du manga. Établir une relation sentimentale avec lui devient alors sa quête. Parfois, ça matche et parfois, on découvre qu’au final, ce n’était pas le bon et que le confident était le vrai prince charmant !

La rivale : Elle n’est pas foncièrement mauvaise mais elle vise le même objectif que l’héroïne. De fait, elle devient son adversaire dans la course vers le dénouement heureux. Si en plus, elle est plus jolie, s’habille mieux et a de meilleures notes en maths… ça rend les choses plus compliquées, donc plus intéressantes !

La famille/les adultes : Peu représentés, les parents font tout de même partie des personnages importants des mangas shōjos. Comme les professeurs, ils représentent souvent l’opposition : « Cesse de penser aux garçons et concentre toi sur tes études/ ton travail. Fais honneur à ta famille. » Mais ils peuvent aussi être les guides / mentors de l’héroïne.

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Professeur Eiji © Akiko Monden

Les némésis : Passons du coté fantastique du scénario shōjos et on tombe tout de suite sur une némésis. C’est le méchant ultime qui vise à asservir ou anéantir le monde. Homme ou femme, souvent monstrueux, sur le papier, il est impossible à vaincre. C’est souvent grâce à son caractère singulier, voire ses défauts, que l’héroïne peut faire face aux ténèbres mais elle aura aussi besoin de compter sur l’aide de ses amis.

Le petit compagnon : Pour l’aider dans sa quête pour vaincre la némésis, l’héroïne peut parfois compter sur un petit compagnon fantastique, souvent un animal qui parle (chats lunaires, nounours ailés, etc). Vous aussi, vous avez pensé à Jiminy Cricket ?

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Sailor Moon © Naoko Takeuchi

Un storyboard flexible

Comme on l’a vu dans l’article sur l’art séquentiel, le découpage des planches et l’agencement des cases est essentiel à la narration.

En manga shōjo, il n’est pas rare que les cases soient complètement éclatées ou donnent l’impression d’un storyboard déstructuré mais ce n’est pas par manque de précision de l’auteur, bien au contraire. Il faut avoir compris comment construire un storyboard pour arriver à créer des compositions comme celle ci-dessous.

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Fruits Basket © Natsuki Takaya

Ici, l’auteure joue sur l’orientation des cases pour représenter une émotion. Elle fait sortir ses personnages de la narration pendant un instant pour qu’on puisse s’arrêter sur l’essentiel : l’émotion ressentie à ce moment là.

Le storyboard se plie aux besoins de la narration, du ton et de la façon dont on veut transmettre le message.

Le fait de retirer les bords des cases permet de jouer sur la temporalité et de plonger le lecteur dans l’intimité de la scène. C’est une technique très utilisée dans les shōjos.

Quelle particularité dans le dessin ?

Une des principales caractéristiques du dessin ou trait « shōjo » est la légèreté. Celle-ci découle naturellement des sujets à représenter, qu’on cherche à montrer de façon douce, élégante, gracieuse, harmonieuse… J’ajouterai aussi le coté très souple des dessins, tout en volumes et arrondis, même dans les scènes d’action.

On retrouve ce sentiment de légèreté jusque dans le choix du matériel. Pour tracer des traits fins et élégants, certaines mangakas privilégient la plume tubulaire Maru à la classique G-Pen pour l’encrage des planches.

Les trames sont également très présentes en manga shōjo. Elles permettent de représenter certaines émotions avec plus de profondeur et d’intensité.

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Particularités physiques des personnages

Les personnages des mangas shōjos sont souvent représentés de façon très élancée, avec un souci de détail très poussé au niveau des visages. En effet, c’est par les visages qu’on perçoit les émotions des personnages.

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© Kuru

Les yeux mais aussi les sourcils sont des éléments essentiels en manga et tout particulièrement en dessin shōjo. Ils donnent vie à toutes sortes d’émotions ! Ne passez pas à coté de ces éléments si vous voulez vous entrainer à dessiner des visages expressifs.

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© Kuru

Singularité dans la mise en œuvre

Un même mangaka ne dessinera pas un shōjo et un shōnen de la même manière. Son style graphique peut se voir affecté par le scénario. C’est le cas d’une auteur que j’aime bien, Yuu Watase, dont le style change radicalement entre Fushigi Yugi et Arata par exemple.

Des lignes fluides, des silhouettes élancées, des trames et de la douceur !

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Lui ou Rien © Yuu Watase

Ici, on assiste clairement à une scène d’action. Pourtant, on sait tout de suite qu’on se trouve dans un manga shōjo. Les indices qui nous mènent à cette conclusion sont : la finesse du trait, le détail des cheveux et des éléments du visage, la rondeur des formes (même chez les garçons), les choix vestimentaires, la composition et l’emploi de multiples trames jusque dans les lignes de vitesse.

On notera aussi la présence d’un petit coté « gag » avec la réaction des deux persos. On comprend que l’intention de l’auteure n’est pas de faire une scène de combat épique.

Des combats dans les Shōjos

Il n’est pas exclu de retrouver des scènes de combat dans les mangas pour fille. Au contraire, dès lors que l’héroïne se retrouve face à des némésis, elle devra les affronter tour à tour jusqu’à réussir sa quête et vaincre le big boss lors d’un ultime duel.

C’est le cas de Sailor Moon ou Card Captor Sakura par exemple. En revanche, là où les mangas shōnen privilégieront l’action et les techniques de combat, le shōjo mettra l’accent sur le ressenti des personnages pendant un face à face.

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Card Captor Sakura © CLAMP

Si lors d’un combat, l’héroïne se retrouve à terre par exemple, l’auteur pourra faire une pause dans la scène pour montrer son état d’esprit. Est-elle affaiblie mentalement ou trouvera-t-elle le courage de se relever ? Où va-t-elle puiser ses forces ? Quels sont les enjeux cachés de ce combat ?

On voit bien ci-dessus tout le courage dans les yeux de la jeune Sakura face au monstre.

Comme quoi, il peut aussi y avoir de l’action dans un manga pour filles !

Conclusion

Si vous pensez toujours que le shōjo est simplement un manga à l’eau de rose, vous êtes sûrement passé à coté de quelque chose. Le shōjo est, avec le Jōsei, sa sœur aînée qui aborde des thèmes plus adultes, l’expression et la représentation de sentiments intimes auxquels on peut tous s’identifier à moment donné.

J’espère vous avoir apporté de quoi être mieux renseigné sur cette ligne éditoriale bien plus riche qu’il n’y parait et, pourquoi pas, vous avoir convaincu d’en lire plus !

Merci à Morh-Gornh pour son aide sur cet article !

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