Parmi tous les genres et les styles de BD et mangas, on peut s’accorder sur un point : il est souvent question de simplifier, styliser voire caricaturer le réel. C’est en ce sens que l’exagération peut devenir un outil pour dynamiser et valoriser sa BD ou son manga.
Si vous avez déjà compris comment créer des personnages crédibles et attachants, vous allez voir maintenant comment utiliser l’exagération pour mettre en valeur les aspects intéressants de vos héros, univers et histoires.
ATTENTION : Plusieurs exemples évoqués dans cet article peuvent faire l’objet d’un spoil. Lisez à vos risques et périls ~
Qu’est-ce que l’exagération ?
L’exagération est la représentation de quelque chose de plus extrême ou dramatique qu’il ne l’est réellement. L’exagération peut se produire intentionnellement ou non. L’exagération peut être un dispositif rhétorique ou une figure de style.
Wikipédia (anglais)
En BD, l’exagération, c’est augmenter ou diminuer drastiquement un caractère, un design, une mise en scène afin d’apporter un impact plus fort.
L’exagération dans le character design des personnages
Le character design (chara design, pour les intimes) touche très largement le personnage. Il aborde aussi bien son apparence que sa personnalité et tout ce qui fait de lui une personne, plus qu’un personnage.
Design graphique
Le design graphique d’un personnage permet de donner d’entrée de jeu des informations aux lecteurices. Par exemple, le sage va souvent être représenté vieux et barbu, le méchant sera vêtu de noir, le héros sera avenant, le bagarreur sera trapu, etc. Ces codes existent depuis la nuit des temps, sans exagérer (tiens …?). Rien que dans les représentations des dieux de telle ou telle mythologie, très souvent, vous retrouverez ces codes.
En manga, on peut aller encore plus loin car l’exagération fait partie du medium. Ainsi, vous trouverez des Usopp menteurs au long nez, des Saitama qui perdent leur cheveux à force d’entraînement, des Death the Kid obsédés par la symétrie et traumatisés par leur propre design, etc.
L’exagération peut également passer par la morphologie du personnage.
De façon très stéréotypée, les héros seront souvent sveltes, parfois athlétiques, les méchants souvent ventripotents ou secs, les acolytes avec des physiques moins avantageux et moins marqués que les deux catégories précédentes, les puissants seront souvent fit, pas loin du bodybuildé, etc. Disney nous abreuve de ces exagérations depuis que Disney existe.
Bien entendu, on les retrouve dans les mangas, les plus exagérés de tous se trouvant souvent dans les mangas shônen (One Piece, My Hero Academia, Naruto, etc.). Cela ne veut pas dire que vous devez forcément tomber dans ce genre de stéréotypes si vous écrivez du shônen ou du manga de façon plus générale.
Un autre exemple d’exagération se retrouve dans les personnages Chibi. Cette catégorie de personnages a une place à part entière dans le monde du manga. Ce sont des personnages très facilement identifiables (tête disproportionnée et petit corps) et reconnus comme étant inoffensifs et mignons.
Les exagérations graphiques sont des outils, pas une obligation.
Observez Bleach (de Tite KUBO) par exemple, qui appartient donc au genre shônen : la morphologie n’est pas ce qui est le plus utilisé pour caractériser les personnages. L’exagération sur ce point n’est que très peu utilisée (quelques personnages font évidemment l’exception). Cependant, Bleach n’échappe pas à l’exagération dans le chara design. Cela nous amène au point suivant.
Personnalité, gestuelle et langage
Comme expliqué plus haut, le chara design ne se basant pas uniquement sur l’apparence physique, il est possible de l’exagérer via sa personnalité et ce qui en découle : la gestuelle et le langage.
Pour être plus clair, imaginez un personnage timide. Pensez-vous que ce personnage s’exprime en faisant de grands gestes ? Un vampire parlerait-il en utilisant le verlan ?
Avant même de parler d’exagération, vous vous devez de savoir comment vos personnages bougent, comment ils parlent, etc. et ce, suivant plusieurs émotions.
Une fois que vous connaissez bien la base de vos personnages, alors vous pouvez choisir d’exacerber ou non telle ou telle gestuelle, d’exagérer ou non une façon de parler ou un langage utilisé.
Qu’entend-t-on par exagérer la personnalité ?
Il s’agit de prendre une personnalité et de la développer à fond.
Plus haut dans l’article, nous vous parlions de Death the Kid, personnage issu de Soul Eater de Atsushi ÔKUBO. Pour résumer sa personnalité, il est le cliché du bon élève, doué à l’école et souvent condescendant avec ses camarades. Se limiter à ces traits de caractère n’aurait pour but de le rendre uniquement ch- ennuyeux. Mais il y a une raison à ce qu’il soit le premier de la classe : il est appelé à hériter du poste de son père, qui n’est autre que la Mort elle-même. Cela représente beaucoup de responsabilités : le Kid travaille donc énormément pour pouvoir les assumer. Cela fait de lui quelqu’un de volontaire, endurant et rigoureux. Ce dernier trait de caractère, rigoureux, Ôkubo-sensei a choisi de l’exagérer. Le Kid est tellement rigoureux qu’il ne supporte pas l’asymétrie. Il est capable de partir en plein milieu d’un combat parce qu’il se souvient avoir vu un tableau de travers dans un des couloirs de l’école. Oui, il est comme ça le Kid. Cela crée des situations tout à fait comiques. Mais Ôkubo-sensei ne s’arrête pas là dans cette exagération. Il a choisi de designer le personnage avec trois bandes blanches horizontales sur les cheveux. Ces bandes ne font pas le tour complet de la tête du Kid. Imaginez-vous ne supportant pas l’asymétrie et voyant votre tête tous les matins dans le miroir avec ce défaut asymétrique… L’horreur ! Voilà un exemple d’exagération de personnalité.
Il ne s’agit pas d’exagérer tout le personnage, mais un point en particulier.
Et comme la gestuelle et le langage découlent très souvent de la personnalité, il est possible d’agir sur ces deux autres points.
Exagérer le langage
Vous vous souvenez probablement d’une personne rencontrée qui vous a marqué.e par son langage. Moi, c’est ma prof d’Anglais de 4ème qui ponctuait toutes ses phrases par « heu… ». Elle le faisait tellement souvent, que parfois, c’était au début, au milieu et à la fin des phrases. On s’amusait même à les compter… *ahem*
En manga, on retrouve souvent ce tic. Par exemple, dans Fairy Tail de Hiro MASHIMA, l’esprit du Crabe, détenu par Lucy, a lui aussi un tic du genre : il s’exprime en terminant systématiquement ses phrases par le mot « homard » (dans la version japonaise, il dit « ebi » (crevette), je ne sais pas pourquoi ça a été modifié en français…). Contrairement au tic de langage de ma prof d’Anglais, ici, c’est une exagération utilisée pour caractériser le personnage et pour donner un ton humoristique.
Dans le même registre, mais dans un autre genre, Killer Bee dans Naruto, de Masashi KISHIMOTO, ne s’exprime qu’en rappant. Il a été designé pour rapper en fait : son caractère cool et décontracté associé à son physique de personnage balèze, ses postures, et même son look font penser à un rappeur. Alors le faire parler en rappant, ce n’est qu’ajouter la touche finale au tableau !
Il est possible d’aller encore plus loin dans cette exagération. Par exemple, les Schtroumpfs ont carrément remplacés une partie de leur vocabulaire par le terme « Schtroumpf », donnant une façon de parler qui leur est unique et malgré tout compréhensible.
Ce sont des exemples parmi tant d’autres. Évidemment, les exagérations dans le langage sont multiples et prennent diverses formes : du vocabulaire employé à la manière de s’exprimer. Soyez créatif.ve, ou bien inspirez-vous de votre vécu : tant que l’exagération sert le personnage et le récit, tout pourra fonctionner.
Exagérer la gestuelle
Vous avez probablement remarqué que certains personnages ne se meuvent pas de façon naturelle. Il est probable que ce soit une exagération écrite par l’auteur.
J’attire tout de même votre attention sur les différences culturelles : si vous lisez des manga écrits par des Japonais, vous noterez parfois des gestes que vous ne feriez pas. Par exemple, pour se montrer soi-même du doigt, les Français se désignent au niveau du torse. Les Japonais, eux, se désignent au niveau du nez. Et oui !
Là, nous parlons de gestuelle exagérée, celle que personne, hormis un personnage de fiction, ne ferait.
Cela peut passer par les différentes poses que peuvent prendre les personnages, aussi bien dans une simple conversation que lors de leurs attaques fétiches. Ainsi, vous trouverez Uryû Ishida de Bleach (ou tout autre personnage portant des lunettes), L de Death Note, la façon qu’ont les ninjas de courir dans Naruto, Batman, Hadès de Disney, etc. Mais ces gestes ou poses là sont assez iconiques et ne sont qu’une partie de ce que nous souhaitons dire ici.
Dans la gestuelle, entre aussi en compte les gestes du quotidien qui sont exagérés pour créer une emphase sur l’action ou le caractère du personnage. L’exagération graphique peut aussi toucher des objets. Ainsi, dans les exemples ci-dessous, vous avez :
- le personnage qui repousse un objet ou un autre personnage avec son pied ; normalement, on repousse avec ses mains, n’est-ce pas ?
- le personnage qui, en pleine course, fait un dérapage contrôlé pour changer de direction ;
- le ballon de foot dont la forme change à cause de la puissance du coup reçu (Captain Tsubasa, tmtc) ;
- le personnage (généralement féminin) qui remue du popotin quand il est content ou qu’il demande quelque chose avec insistance auprès d’une autre personne (mais qui fait ça, sérieux ?!) ;
- le classique « tête disproportionnée » pour réagir à une action (ici, enguirlander quelqu’un – big up à Naruto à qui ça arrive fréquemment).
Toutes ces exagérations, outre transcrire la personnalité ou le caractère d’un personnage, sont également là pour transmettre les émotions de ce personnage.
Mise en valeur des émotions
Accentuer et jouer sur l’intensité des émotions de vos persos peut changer radicalement la façon qu’aura le public de percevoir votre œuvre. On veut rire, on veut pleurer, on veut adorer ou détester vos personnages et le bon dosage d’exagération nous donne les clés pour ressentir toutes ces émotions en tant que spectateur.
L’exagération peut venir renforcer le coté sérieux et dramatique d’une émotion ou au contraire la déformer au point de lui donner un coté comique.
Dans tous les cas, les émotions des personnages sont un élément clé de la narration en manga, alors n’hésitez pas à en jouer pour donner vie à vos personnages.
Si au cours de votre récit, vous souhaitez montrer un personnages « content », plusieurs options se présentent alors à vous :
- Le dessiner esquissant un sourire ? On comprend qu’il est content, mais sans plus.
- Le dessiner la bouche ouverte et le regard soutenu ? On sent que l’émotion est déjà plus intense.
- Le dessiner avec une bouche tellement démesurément grande ouverte que celle-ci dépasse du cadre physique de sa mâchoire ? Bon, ok, on a compris, il est VRAIMENT CONTENT ! 😀
Cela vaut pour n’importe quelle émotion. En venant exagérer les caractéristiques physiques des visages ou du langage corporel des personnages, vous allez véhiculer les émotions à différents degrés d’intensité.
Tout au long de la création de votre BD ou manga, vous serez alors amenés à faire les choix graphiques qui correspondent au ton de votre récit. Un manga n’est pas forcément 100% sérieux ou 100% humoristique. Il est parfois bon de proposer des temps posés associés à des gags ponctuels permettant d’alléger la lecture et de dédramatiser une situation.
Un exemple que j’aime citer, est une scène dans Lui ou rien T1 de Yuu Watase.
L’héroïne se retrouve dans une situation assez difficile car après avoir commandé sur internet un petit ami parfait, elle doit maintenant passer à la caisse. Elle converse de manière sérieuse (avec tout de même quelques mini gags pour rester dans le ton général de ce manga shōjo) avec le commercial qui lui annonce alors…
LE PRIX DU BIDULE !!
Associé à la composition et au style graphique, l’exagération de l’émotion apporte un réel impact dans la perception de la scène. C’est une des rares occasions où je me fais avoir à chaque fois à pouffer de rire au moment de tourner la page.
Quand vous commencez à créer vos personnages, prenez le temps de les imaginer et de les dessiner dans des situations variées. En fonction de leur caractère, extraverti ou réservé, dessinez-les avec des émotions compatibles avec leur sensibilité ou au contraire, complètement à l’opposé pour voir jusqu’où votre perso peut aller.
Une fois que vous avez exploré les extrêmes, vous pouvez commencer à percevoir les limites d’expressivité de vos personnages.
Entrainez-vous à dessiner des émotions avec cet exercice qui vous invite d’ailleurs à exagérer les formes pour aboutir à des émotions plus intenses.
Accentuer les émotions par des symboles
En manga, et même en BD, il existe des symboles courants que l’on peut venir rajouter aux cases, bulles et personnages. Ces codes sont universels et compréhensibles par tous.
Pour accentuer les émotions, on peut donc rajouter des petits symboles comme :
- La goutte de sueur
- Des lignes verticales
- Des étoiles
- La veine
- Le soupir
- Le tourbillon
- Des vaguelettes
- …
Certaines mises en scènes et gags sont devenus, au fil du temps, des symboles à part entière. Un bon exemple est le coup marteau infligé à Nicky Larson à chaque fois qu’il s’éloigne un peu du politiquement correct.
Pour mettre en valeur un effet de surprise ou une tension, on peut aussi utiliser des vagues ou des lignes de vitesse.
Exagérations dans les mises en scène
Maintenant que nous avons vu l’ensemble des exagérations applicables au seul personnage, parlons du manga (ou de la BD) en lui-même. Il est possible là aussi d’exagérer des scènes ou des actions.
Ces exagérations sont là dans un but précis que vous, auteurices, aurez choisi. Il n’est pas question d’exagérer juste pour exagérer, cela n’aurait pour effet que d’alourdir vos scènes ou votre histoire (comme l’oncle Gégé avec ses blagues de beauf au repas familial du Dimanche…), rendant votre œuvre indigeste.
L’exagération dans la mise en scène va intervenir sur deux aspects : au niveau scénaristique et au niveau graphique. Comme pour le personnage, ces deux aspects sont intrinsèquement liés.
Scénaristiquement
Il s’agit ici d’anticiper un max sur les scènes à venir. Même mieux qu’anticiper, il s’agit d’intégrer l’exagération pour qu’elle ne fasse qu’un avec le récit.
Pour cette partie, nous allons observer deux extraits tirés de One Punch-Man, par ONE et Yûsuke MURATA. Il existe bien sûr tout un tas d’autres auteurs talentueux, One Punch-Man n’est pas non plus la bible du manga, mais pour aujourd’hui, c’est dans cette œuvre que nous piochons nos exemples.
Dans le One Punch Man T1, chapitre 5, ONE & MURATA-sensei ont choisi de nous montrer Saitama en train de galérer à choper un moustique qui l’a piqué dans la page précédente.
Ils nous montrent cette action sur deux pages pleines. À votre avis, pourquoi ? Est-ce vraiment une action importante que de chasser un moustique ? Spontanément, il nous est difficile de trouver ça digne d’un héros. Pourtant, cette scène est bien là, et pour une bonne raison. Elle annonce l’arrivée d’un nouvel adversaire, qui ne sera autre qu’un moustique (façon One Punch-Man bien sûr, à savoir minimum taille humaine !). Une scène aussi banale peut servir à préparer le terrain pour la suite des événements et c’est pour cette raison qu’elle est aussi développée.
Comprenons-nous bien : elle n’est pas exagérée dans les gestes que fait Saitama. Oui, même pour la dernière case de la page de gauche ; honnêtement, qui ne s’est pas déjà énervé après une mouche ou un moustique au point de faire de grands gestes comme Saitama ? Ne mythonnez pas, on vous a vu.e ! Non, cette scène est exagérée dans sa longueur. Et cette longueur a un but scénaristique : celui d’annoncer le prochain adversaire.
Les exagérations scénaristiques ne sont pas nécessairement une scène anormalement longue, et l’objectif scénaristique n’est pas nécessairement l’annonce de l’arrivée d’un adversaire. Ces points-là font partie de l’exemple.
Dans One Punch Man T7, chapitre 36, nous nous trouvons à la résolution d’un combat (oupsie ! Désolées pour le spoil !). Ici, il est question de démesure. L’adversaire est démesuré, ses attaques aussi. Si bien que Saitama a même été projeté sur la Lune. Oui, oklm.
Bien sûr, si vous connaissez le principe de One Punch-Man (et le titre est un énorme indice), vous savez qu’un combat se termine dès lors que le héros, Saitama, décoche un coup de poing. Tout le suspense de tous les combats de ce manga repose sur le moment où Saitama décoche enfin son coup de poing victorieux. Mais dans ce combat-ci, l’adversaire est démesuré. Un coup de poing « classique » pour Saitama casserait tout l’effet de la démesure de son adversaire.
Scénaristiquement, c’est risqué : cela créerait au mieux un effet comique (le héros ne prend pas son adversaire au sérieux et l’abat sans forcer), au pire un effet décevant conduisant à une rupture avec le lecteur (et ça, en tant qu’auteur, c’est absolument à éviter !).
Donc, ONE-sensei, opte pour un coup de poing démesuré lui aussi. Les coups de poing surpuissants en manga, on connaît. Avant Saitama, on a eu Dragon Ball, Naruto, One Piece et j’en passe. Mais là où son idée de surdimensionnement est sublimé par le travail de Murata-sensei, c’est que ce coup de poing-ci prend 9 DOUBLE-PAGES (soit un total 18 pages !). Oui, vous avez bien lu. D’ailleurs, si vous avez lu l’article Composer une double-page en manga, vous savez que ce genre de composition n’est généralement pas recommandée car elle prend trop de place dans le nombre de pages disponibles pour un chapitre (ou une histoire complète) et qu’elle peut également créer un effet de ralentissement.
Cependant, si ici, ce choix est fait, c’est bien pour 1/montrer la démesure des coups donnés, 2/créer un effet de ralenti sur la scène pour accentuer l’emphase.
Exagérer scénaristiquement revient à mettre certaines scènes ou actions en avant (à leur faire prendre plus de place) dans le but de montrer aux lecteurices ce qui est important (pour la compréhension, pour la suite de l’histoire, pour le héros, etc.).
Graphiquement
Intensifier des scènes par le scénario et le découpage des planches va de paire avec des exagérations et déformations au niveau du graphisme. Voyons ensemble quelques exemples pour bien comprendre de quoi il s’agit.
Pour bien mettre en lumière une ambiance, une intensité ou encore une action, on peut venir se frotter aux limites de la perspective.
Le Fish Eye est une technique pour mettre en valeur une scène en particulier. Associé à une déformation comme ici un décors tout tremblotant, cette perspective peut ajouter un coté malaisant à l’ensemble.
Ce choix graphique nous donne comme un sentiment de malaise vagal. Le décors se trouble, on perd ses repères dans cet espace déformé et on partage l’émotion de Kirua sans même voir son visage.
Dessiner des personnages en perspective donne aussi plus d’impact à une scène d’action. Dans l’exemple ci-dessous, on retrouve Deadpool, personnage haut en couleur qui a la particularité de savoir qu’il évolue dans une fiction destinée à nous divertir. Dans cette scène, il se lance à l’assaut de son adversaire par une attaque frontale (comme il le précise si bien).
La façon de dessiner Deadpool avec un pied en avant démesurément grand, son visage tourné vers le spectateur et le reste du corps en arrière plus petit, donne tout de suite le sentiment que le personnage avance vers nous. Si tout le corps du personnage était dessiné sur le même plan, on aurait un impact beaucoup moins fort.
Pour rester dans les coups de pieds, voyons maintenant un extrait de Zombie Powder de Tite KUBO. Dans cette scène, l’adversaire déguste, de plein fouet, le soulier du héro qui l’envoie valser loin en arrière.
On retrouve ce principe de dessin en perspective pour montrer la profondeur et la distance à laquelle le méchant se fait éjecter.
Mais ce n’est pas le seul élément qui est accentué pour augmenter l’impact de la scène. Outre la perspective, on retrouve les lignes de vitesse, un visage complètement déformé pour bien marquer l’impact de la chaussure et un grand nombre d’onomatopées qui recouvrent presque un quart de la planche.
En effet, exagérer la forme, la taille et l’encombrement des onomatopées est un moyen d’ajouter encore plus de valeur à vos scènes.
Imaginez si on avait écrit de simples petits « pan, pan » en comic sans serif à la place des onomatopées de cette page… L’impact serait radicalement différent.
La taille, la forme et le graphisme des onomatopées doit suivre le contexte des mises en scènes. L’exagération vient lorsqu’on a une onomatopée trop importante ou trop faible pour la scène à laquelle est elle rattachée. Elle devient alors le centre de l’attention.
Et comme pour toutes les exagérations dont nous parlons dans cet article, attention à ne pas en abuser. Si toutes vos scènes ou toutes vos actions sont mises en avant, vous perdrez cette exagération faisant que telle ou telle scène ou action est plus importante que les autres.
Point trop n’en faut, comme on dit !
Savoir doser pour que ça reste lisible
Sur le papier tout est permis alors autant se lâcher scénaristiquement et graphiquement ! Oui, mais attention tout de même à ne pas tomber dans l’excès au risque de vous perdre dans des compositions ou des choix illisibles, improbables ou monotones.
Si toutes vos compositions ou émotions sont exagérées, vous allez définir l’exagération comme quelque chose de normal et bien que vous utilisiez les codes qui rendent les personnages et les scènes plus dynamiques, le tout aura l’air plat.
Comme en narration, on a besoin de pouvoir respirer entre plusieurs temps forts. Ici, le design du héros est démesurément allongé pour lui donner « de la hauteur », l’ascendant physique et psychologique vis à vis de son adversaire. Ce n’est pas du tout sa taille originale et on le retrouve avec des proportions plus « naturelles » dans les autres pages.
Ce qui fait que l’exagération fonctionne, c’est qu’elle vient contraster une composition jusque là « normale ». Une fois que vous avez choisi le style, l’univers, le ton et le rythme de votre récit, vous aurez alors ce qu’on peut qualifier de « rythme de croisière ». C’est en venant ponctuer cette normalité avec des moments et des designs exagérés que vous aurez alors un impact fort sur telle ou telle scène.
Conclusion
L’exagération permet de donner vie aux personnages et à rendre les mises en scènes plus intéressantes.
Ni la BD, ni le manga n’a de limite dans le champs des possibles alors lâchez-vous ! N’hésitez pas à tester et à explorer les extrêmes pour pouvoir ensuite vous recentrer et trouver le bon équilibre dans votre style graphique et narratif.
Comme tous les outils, vous allez devoir apprendre à vous servir de l’exagération dans vos créations et à bien la doser pour qu’elle soit le plus efficace pour vous.
Cet article a été écrit conjointement par Maylis et Kuru.