La multitude de mangas qui existe aujourd’hui a conduit à l’inévitable : les clichés. Qu’ils appartiennent au genre manga lui-même, ou aux catégories du genre comme le shōnen ou le shōjo, les clichés font partie des récits et sont souvent difficiles à éviter. C’est pourquoi aujourd’hui, nous vous parlons des clichés des manga !
Dans cet article, nous allons tout d’abord définir ce qu’est un cliché et présenter quelques exemples concrets.
Introduction
Le dictionnaire Larousse définit le cliché comme suit :
Cliché : Lieu commun, banalité qu’on redit souvent et dans les mêmes termes , poncif.
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Poncif : formule rabâchée, qui a perdu toute originalité.
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Le dictionnaire associe également le terme de « cliché » à celui de « stéréotype » :
Stéréotype : Expression ou opinion toute faite, sans aucune originalité, cliché. // Caractérisation symbolique et schématique d’un groupe qui s’appuie sur des attentes et des jugements de routine.
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Vous l’aurez compris, le cliché n’a pas bonne réputation. Associé à du déjà-vu et à un manque de créativité, il est la bête noire des auteurs, et des artistes en général.
Mais l’est-il vraiment ?
En effet, si vous lisez du shōnen, n’êtes-vous pas en attente de combat ou d’aventure ? Si vous lisez du shōjo, n’êtes-vous pas en attente de scènes romantiques ? Si vous lisez une enquête, n’êtes-vous pas en attente de crimes et de mystères à résoudre ? Si vous lisez de la science-fiction, n’êtes-vous pas en attente de découvrir un tout autre univers ?
Vous le verrez, à un certain point, il est difficile de faire la distinction entre le cliché et ce qui fait le genre que vous lisez/écrivez.
Les clichés du shōnen
Les shōnens manga sont avant tout et par définition des mangas adressés aux shōnens (« jeunes garçons » en japonais) à savoir un public masculin adolescent (entre 10 et 16 ans).
Comme toute littérature visant un public non adulte, des règles entourent son écriture, le but étant entre autres de faire de l’œuvre un moyen de transmettre à sa jeunesse des valeurs propres au pays d’origine. Pas question donc de personnages moralement ambigus ou carrément hors-la-loi. Il arrive même que lorsqu’un personnage est hors la loi, un astérisque avec une note vienne rappeler que l’agissement dudit personnage n’est pas permis. Enfin, ça, c’est la théorie.
Le fait est qu’aujourd’hui, ces règles peuvent paraître transgressées lorsque l’on constate notamment l’augmentation de la violence et de sa représentation dans les œuvres destinées à la jeunesse. Mais ceci est un autre débat.
Ces règles de récit ont inévitablement conduit à un mode de récit devenu souvent cliché, avec des personnages tout aussi clichés. Observons cela.
Les clichés dans les personnages
Si vous êtes amateur·ice·s de shōnen manga, et même de manga en général, vous savez que les personnages intervenant dans les histoires sont généralement hauts en couleur.
Et cela commence dès leur design. Si vous avez lu l’article de Buttea sur les Proportions et canons anatomiques dans le manga, vous avez déjà une approche de ces « clichés » de personnages.
Parmi ces clichés, vous allez retrouver ces personnages :
- Le héros : pourvu d’une forte détermination, d’un passé difficile, d’une capacité à rassembler les foules, qui s’attache à celles et ceux rejetés par le groupe, qui défend une cause (juste), souvent un peu naïf, qui tombe amoureux de la jolie fille. Et c’est très souvent un ventre sur pattes !
- Le rival : sombre, pourvu d’un passé difficile, motivé par la revanche ou la vengeance, plus fort que le héros (en tout cas au début), plus réfléchi ou intelligent.
- Le mentor : souvent un homme, vieux, d’apparence fébrile, mais qui se révèle être très puissant, souvent porté sur la chose, a des techniques d’enseignement bien à lui ;
- L’ami : souvent plus discret que le héros, loyal, attaché au héros, car il l’admire ou a été sauvé par lui, complète le héros ;
- Le personnage féminin : coup de cœur du héros et sa motivation, n’avait que pour rôle de prendre soin du héros, mais aujourd’hui s’avère être d’une grande aide et d’une grande force.
Dans les différents exemples donnés ci-dessus, les rôles peuvent être soumis à discussion, mais pensez qu’il s’agit d’illustrer des propos et de voir « en général » plutôt que dans le détail.
Notez également que certains personnages peuvent endosser plusieurs rôles. C’est le cas de Uraraka, dans My Hero Academia, qui endosse le rôle d’amie et de love interest de Midoriya, le personnage principal.
Les clichés dans l’histoire
La mécanique du shōnen manga est plutôt connue du grand public. Tellement connue qu’elle en devient un cliché !
Le héros, un jeune garçon, ordinaire ou mis aux bancs de la société, fait une rencontre qui va changer son quotidien et lui révéler une grande force qu’il a en lui. Découvrant un Nouveau Monde, il va être accompagné d’un guide qui va lui apprendre les codes. Viennent alors les premiers combats qui vont permettre de mettre en avant cette force et faire de lui un espoir. Ensuite le ou les premiers échecs, le conduisant à une phase d’entraînement pour parvenir à maîtriser ou développer cette force, jusqu’à ce qu’il soit prêt pour le combat suivant. Et ainsi de suite !
À cette mécanique déjà bien rodée, vient s’ajouter la motivation suprême, l’objectif du héros : être le numéro 1 dans son domaine. Naruto veut devenir Hokage, Midoriya veut devenir l’égal d’All Might, Luffy veut devenir le roi des pirates, etc.
Et bien entendu, il n’y parviendra jamais sans le fameux, le sacro-saint pouvoir de l’amitié ! C’est l’amour qu’il porte à ses amis, le soutien que ceux-ci lui apportent, qui fait que le héros va pouvoir atteindre son but. Sans ses amis, le héros de shōnen n’est rien, et c’est probablement ce qui le rend attachant aux yeux du public. Oui, je vous vois l’encourager comme si vous étiez vous-même l’ami.e du héros !
Les clichés du shōjo
Le shōjo a lui aussi de nombreux clichés, bien différents des shōnens et de leurs nombreux combats. Que ce soit du côté des personnages, de la structure de l’histoire ou des événements types, les codes sont là aussi très marqués :
Les clichés de personnages
- L’héroïne : généralement timide et particulièrement gentille, elle cache éventuellement un secret et est tombée amoureuse au premier regard d’un garçon populaire, même si leurs interactions sont minimes.
- Le ténébreux : Tantôt brun et l’air sombre, tantôt blond décoloré (les cheveux teints ou décolorés se rattachent à la culture voyou au japon), il ne passe jamais inaperçu et a un côté subversif. Que ce soit un combattant farouche ou un charmeur volage, il sera toujours mystérieux, avec un côté à la fois dangereux et séduisant. Il attire l’héroïne sans qu’elle arrive à savoir s’il se joue d’elle ou s’il est véritablement amoureux, et cache une fragilité ou un passé tragique derrière son comportement contradictoire.
- L’ami d’enfance : généralement l’ami d’enfance de l’héroïne et secrètement amoureux d’elle, il est tout ce que le ténébreux n’est pas. Souvent avec un physique opposé à celui-ci, il est gentil, effacé, fiable… et sans surprise, il est le perdant presque systématique du triangle amoureux.
Le blond/le brun est un duo très utilisé dans le yaoi, en tant que couple cette fois, avec une « casseuse de yaoi » (souvent un mariage arrangé par la famille) pour recréer une rivalité. Il est évident que ces différentes couleurs de cheveux sont un moyen efficace de différencier facilement des personnages dans un manga dessiné en noir et blanc.
La réalité et souvent plus nuancée, surtout aujourd’hui : il peut y avoir des variations ou des mélanges (l’ami d’enfance caustique et le love interest plus délicat, des couleurs de cheveux différentes…), mais la grande majorité des triangles amoureux fonctionne sur l’opposition entre séduction et passion d’un côté, sécurité affective de l’autre.
Attention, je parle ici des personnages clichés du shōjo, mais croire que shōjo = romance uniquement fait partie des clichés des mangas ! Tous les shōjos ne se basent pas sur un triangle amoureux, surtout parmi les plus récents.
Il existe aussi des shōjos dans des univers historiques ou fantasy, avec leurs intrigues riches, leurs drames et leurs violences, ou la romance tient parfois une place mineure au milieu d’un scénario axé sur l’action et un objectif exigeant : éviter une guerre, reprendre le trône, etc.
Côté romances destinées aux jeunes garçons (généralement avec une pointe de fan-service) on retrouve le même genre de clichés en miroir :
- Le héros : un personnage assez indécis et transparent qui, après avoir eu une vie amoureuse inexistante, a tout à coup plusieurs opportunités.
- La brune : difficile à approcher, elle est soit timide, soit d’un caractère fort et insaisissable… mais dans tous les cas le héros a bien du mal à savoir ce qu’elle pense. Il en est amoureux, mais leur relation est compliquée.
- La blonde : cheveux courts, énergique et joyeuse, elle a un caractère franc et exprime clairement son attirance pour le héros. Il est tenté de se fixer avec elle parce que leur relation est confortable mais n’en est généralement pas amoureux.
- La rousse (optionnelle) : souvent transgressive, elle se comporte plus comme une rivale ou une camarade de jeux qu’un love interest, et devient « l’amie fille », celle avec qui on est soi-même (puisqu’il n’y a pas de volonté de la séduire) et qui finit par être proche. Jusqu’à ce que cette proximité (et le côté sexy du personnage) devienne ambigüe…
Les clichés dans l’histoire :
Les shōjos commencent souvent par un bouleversement pour l’héroïne : une rencontre avec une nouvelle personne, devoir cohabiter sous le même toit ou faire équipe avec leur love interest… elle doit sortir de sa zone de confort et s’adapter à ces changements…
Certaines scènes-clé sont attendues au tournant dans les romances lycéennes :
- La déclaration d’amour
- Le premier baiser
- Noël, fête romantique par excellence au Japon, est un événement dans la relation. Que ce soit le/la protagoniste incapable de choisir avec qui passer la soirée ou son love interest qui lui pose un lapin à cause d’un imprévu, c’est souvent un moment de tension et d’incertitude.
- La Saint-Valentin est un autre incontournable de la romance.
- Le passage fan-service ou l’on voit les pectoraux/les seins/la culotte du love interest
- La fin d’année ou la fin du lycée, qui pousse notre protagoniste à faire un choix, s’accompagne souvent d’une escalade d’événements et de quiproquos qui rendent ce choix de plus en plus difficile. Cela correspond souvent à la fin de l’histoire.
Ne pas remplir ce cahier des charges dans un genre très codifié peut créer de la frustration chez les lectrices, mais le suivre peut rendre l’histoire prévisible/ennuyeuse. L’originalité va se jouer dans la manière d’aborder chaque événement, plus que dans l’événement lui-même.
D’autres clichés pour d’autres genres d’histoires
Les manga d’aventure (shōnen) ou de romance (shōjo) ne sont évidemment pas les seuls genres à être pourvus de clichés. Chaque genre a ses propres clichés, car le lectorat a certaines attentes liées à chacun de ces genres.
Plus l’œuvre est « classique », plus elle va coller aux codes du genre, au risque d’être ennuyeuse avec ses clichés. Le premier manga de type Battle Royale que vous lirez vous a sans doute épaté, mais au bout d’une vingtaine, voir revenir les mêmes ressorts et comparer les révélations finales entre les différentes histoires peut rendre la lecture décevante.
De la même manière, une idée qui pourrait paraître originale au début peut devenir redondante au bout d’un moment (je ne COMPTE PLUS le nombre de webtoons ou une fille banale de notre monde meurt et se réveille réincarnée dans son histoire préférée). Avec une base à ce point répétée, il faut vraiment lutter pour se démarquer.
Pour les mangas, c’est bien souvent du côté des seinens qu’on peut retrouver des œuvres plus originales. Que ce soit parce qu’ils sont destinés à un public plus mature, pour qui le temps de la découverte est passé, parce qu’ils permettent davantage de mélanger les genres ou parce qu’ils peuvent explorer des thèmes plus rudes, c’est sans doute le secteur du manga le moins soumis aux clichés.
Enfin, il ne faut pas oublier que les clichés n’existent pas uniquement dans le genre des mangas : même en s’inspirant d’autres supports (BD, comics, séries et films), on y retrouvera également des clichés.
Les clichés : un outil pour poser le genre ?
La science fiction, l’heroïc fantasy ou le médiéval fantastique passent invariablement par une phase de présentation de l’univers dans lequel se déroule l’histoire. C’est cliché, mais nécessaire : sans cette présentation, certains codes peuvent échapper au lecteur/spectateur et l’empêcher ainsi de comprendre certaines problématiques.
Pour illustrer ce point, l’exemple le plus simple à mon sens, est le film Upside Down.
Au début du film, on nous explique que deux planètes sont suffisamment proches l’une de l’autre pour être jointe par une simple corde. Cependant, les habitants de chacune des deux planètes sont soumis à la gravité de leur planète d’origine, rendant l’échange de population ou même de matériaux impossible. Ou presque. Vous sentez probablement venir le coup, une histoire d’amour à la Roméo et Juliette va se mettre en place entre deux êtres que leur origine oppose.
Sans l’introduction sur le fonctionnement des gravités propres à chacune des planètes, les difficultés qu’éprouvent les deux amoureux nous paraîtraient absurdes et le film n’aurait plus de sens.
Les histoires d’horreur ou de catastrophes suivent là aussi invariablement le même schéma : on présente une situation horrible ou catastrophique, puis on passe à la présentation des héros, souvent père ou mère de famille, qui vont traverser les pires épreuves en faisant en sorte de protéger celles et ceux qu’ils aiment.
Les clichés de ces films reposent beaucoup sur l’installation d’une ambiance effrayante et les fameux jumpscares. Et bien entendu, aussi atroces que les situations puissent être, les héros et celles et ceux qu’ils protègent s’en sortent à la fin.
Les polars, codes ou clichés ?
Les policiers ont aussi leur mécanique bien huilée : vous savez bien qu’en regardant un policier, vous allez soit enquêter en même temps que le personnage principal et tenter de découvrir le criminel avant l’enquêteur (Hercule Poirot) ; soit connaître dès le début le meurtrier, mais suivre l’enquêteur dans sa recherche d’indices pour savoir comment il va démasquer le coupable (Columbo). Certaines séries créent même des clichés internes à elles-mêmes, comme Barnaby, avec sa structure de « trois meurtres ont lieu et le quatrième est arrêté in extremis ».
Les policiers ont de ça d’intéressant que, la mécanique étant bien connue de tous, les autrices et auteurs trouvent leur originalité dans la création des personnages : au fil des années, le fameux Sherlock Holmes est passé d’un homme respectable et très intelligent à un sociopathe à fort quotient intellectuel.
Entendez sociopathe comme sa définition première : « socio » pour social, « pathe » pour malade ; un sociopathe est une personne éprouvant des difficultés à se comporter selon les normes sociales qui régissent les interactions entre plusieurs individus. Ne confondez pas non plus « sociopathe » et « psychopathe ».
Certains enquêteurs se trouvent également contraints à employer des méthodes d’enquêtes plus que limites vis-à-vis de la loi, et se trouvent parfois hors-la-loi eux-mêmes. Parfois, l’enquêteur, sous couvert de vouloir faire respecter la loi, se trouve à employer des moyens extrêmes et à devenir ce qu’il combat au début.
Je pense au personnage de Billy Butcher dans la série The Boys : il n’est pas représentant officiel des forces de l’ordre, mais joue le rôle d’enquêteur qui succombe à la tentation d’employer des moyens de plus en plus extrêmes pour parvenir à ses fins.
Conclusion
Les clichés et les stéréotypes sont omniprésents dans les histoires de fiction, mangas et autres.
Nous avons évoqué quelques exemples ensemble qui pourront vous aider à y voir plus clair et à lire vos mangas avec un regard nouveau. Dans un prochain article, nous verrons comment nous pouvons soit éviter les clichés, soit nous en servir dans nos propres créations.
Pour en savoir plus sur les clichés, allez faire un tour sur le site de TVtropes (en anglais) qui catalogue les clichés de la fiction.
Cet article a été co-écrit par @maylis et @astate.