Une discussion qui revient souvent chez les aspirants auteurs, c’est « est-ce que vous accordez plus d’importance aux personnages, ou au scénario et l’univers » ? Même si chacun a ses points forts et ses goûts, les bons auteurs répondront en général « les trois ». Nous avons déjà fait plusieurs articles de conseils d’écriture sur les scénarios et sur la bible de projet qui permet de compiler toutes ses informations sur votre univers… aujourd’hui, on va voir comment créer un personnage crédible et attachant !
Après tout, bien souvent, ce sont eux qui nous font aimer une histoire et vibrer avec elle… ou la détester. Rien de pire que d’entendre que l’on a créé un héros creux ou peu crédible, ou encore antipathique.
Même si on aime surtout développer des scénarios alambiqués ou des univers fourmillants de détails, il est important de les soigner, car ce sont eux la porte d’entrée vers toutes les histoires !
Mais voilà : créer un personnage, ce n’est pas si facile. Vous vous demandez comment le rendre crédible, attachant, intéressant ? Bref, comment en faire un point fort de votre histoire ? Ça tombe bien, c’est le sujet de cet article.
Définir vos objectifs – un peu de vocabulaire
Crédible, attachant, intéressant… c’est bien beau de lancer des adjectifs, mais la première étape est de se demander ce qu’il y a derrière. Un petit rappel de définitions ne fait jamais de mal, car il y a différents aspects dans un personnage, et différentes nuances.
Voyons ce qui se cache derrière ces mots.
Crédible : Qui est digne d’être cru. On se dit que ça pourrait être vrai (même si ça ne l’est pas forcément). Cela veut dire que l’on cherche à avoir un personnage réaliste, ou au moins cohérent.
Attachant : Qui nous intéresse ou nous touche. Ici, c’est la dimension affective qui joue. Ce sont tous ces personnages qu’on aime, qui nous font rire, pour lesquels on pleure quand il leur arrive malheur… Pour que l’émotion entre en jeu, il faut que l’on y croie ET que les enjeux résonnent avec le vécu des lecteurs.
Intéressant : Le personnage va attirer notre attention, nous intriguer, nous faire poser des questions, nous prendre à contrepied… bref, il va faire fonctionner notre cerveau. Un personnage peut être intéressant sans être spécialement attachant.
Vous l’aurez deviné, ces trois aspects sont à travailler ensemble, mais il y en a un qui a une importance particulière et qui peut être difficile à mettre en pratique : la crédibilité.
Comment créer un personnage crédible ?
La crédibilité, c’est un peu comme le travail de script au cinéma : en général, on n’en parle que quand c’est mal fait. Cela peut être un personnage qui change radicalement d’avis sans raison, survit sans explication, a des connaissances sorties de nulle part, ou fait cours au lecteur au lieu de vivre sa vie… Bref, tous ces moments où l’on grimace et où l’on sort de la suspension d’incrédulité.
La suspension d’incrédulité, c’est le fait de mettre de côté la réalité pour accepter de croire pour un temps ce qui se passe dans une histoire, un film, un livre. On sait que ce n’est pas vrai, mais « on y croit », pendant quelques minutes, ou quelques heures. L’enjeu d’un auteur, quel que soit le format de son histoire, est de rendre cette suspension d’incrédulité le plus facile possible et il y a un principe particulièrement important :
Ne pas rompre les règles que l’on a soi-même établies dans l’histoire.
C’est à la fois très simple à retenir et très difficile à mettre en place, et c’est valable pour tous les aspects de la création de son histoire. Mais pour l’instant, voyons comment cela se traduit au moment de créer un personnage.
Il doit être cohérent avec lui-même.
Vous avez sûrement défini quelques caractéristiques : il peut être gentil, intelligent, maladroit… Ses caractéristiques fixes peuvent être très simples et permettent au lecteur de l’apprivoiser et de s’en faire une première idée.
La première chose, donc, c’est de choisir ces caractéristiques et de les montrer. C’est le fameux « show, don’t tell » du cinéma, qui s’applique aussi très bien à la BD. Faire dire à un autre personnage « X est vraiment gentil » ou l’écrire dans la narration n’est pas efficace. Si votre personnage est gentil, il y a d’autres moyens de le faire comprendre : il peut aider un passant, rendre des services, écouter quelqu’un avec attention pour le conseiller… Cela aura beaucoup plus d’impact pour le lecteur !
Astuce : En faisant apparaître votre personnage, vous ne pourrez pas tout dire ni tout montrer d'un coup. Concentrez-vous sur un à trois aspects très visibles pour le définir et le rendre bien reconnaissable. Vous pouvez même partir de caractéristiques un peu clichées pour faciliter le travail du lecteur qui se dira "ah, c'est ce genre de personnage". Vous aurez tout le temps de le dévoiler plus en profondeur ensuite !
La deuxième chose, c’est de ne pas se contredire : si votre personnage est supérieurement intelligent, il est peu probable qu’il tombe dans un piège grossier. S’il est gentil, il ne va pas chercher des noises sans raison, etc..
Par exemple, admettons que vous ayez un personnage qui sait toujours quand quelqu’un d’autre lui ment ou lui dit la vérité. C’est dit explicitement, c’est montré dans l’histoire à plusieurs reprises, et voilà que, longtemps après, un autre personnage est pris au piège par quelqu’un qui a pris son apparence. Il dit à l’héroïne « mais non, ce n’est pas moi ! » (ce qui est vrai) et celle-ci… ne le croit pas (alors qu’elle est censée avoir le pouvoir de savoir que ce qu’il dit est vrai).
Ooups ! Cet exemple est tout à fait réel, il sort de la série « il était une fois » que j’ai arrêté de regarder à ce moment-là.
Bien sûr, ce genre d’erreur est différente des moments où les personnages échouent pour des raisons expliquées par le scénario ou le contexte : même le meilleur tireur d’élite peut manquer sa cible s’il est blessé et à bout de force.
S’il y a une leçon à retenir de cet exemple, c’est que les caractéristiques principales de (tous) vos personnages sont des caractéristiques permanentes : elles ne doivent pas disparaître par magie quand ça n’arrange pas votre scénario. Débrouillez-vous autrement, ou modifiez la caractéristique sur l’ensemble de l’histoire si c’est vraiment indispensable.
Il doit être cohérent avec le monde qui l’entoure.
L’exemple que je donne est issu d’une histoire de fantasy : je ne connais personne qui ait ce pouvoir, et je doute qu’il existe tout court. Si on écrit une histoire censée se passer dans notre monde, je peux avoir du mal à accepter que notre héros ait cette caractéristique. Pourtant, ce n’est pas un problème pour une fiction dans un monde imaginaire. L’acceptable n’est pas le même dans une fiction historique que dans un space opera ou un univers fantasy.
Vous pouvez créer le monde le plus improbable, avec des fantômes, des voyages temporels, des magiciens-cuisiniers ou des chats-donuts, tant que votre monde est cohérent avec lui-même.
Astuce : La rupture de suspension d'incrédulité peut, paradoxalement, arriver avec des éléments qui paraissent réalistes, parce qu'ils se rattachent à notre réalité : une licorne qui vole et crache des arcs-en-ciel, OK, mais un collégien qui arrive à avoir un rendez-vous à la Maison-Blanche en 15 minutes, qui va croire ça ? Ensuite, vrai n'est pas vraisemblable. Toutes sortes de choses arrivent dans notre monde, même les plus incroyables. Il se peut que votre histoire paraisse peu crédible alors même qu'elle est basée sur des faits réels, tout simplement parce que ça nous paraît trop improbable pour qu'on y croie.
Selon le genre de votre histoire et les codes qui vont avec, vous pourrez vous permettre plus ou moins de distance avec la réalité. Vous avez même intérêt à créer un personnage fantaisiste pour provoquer un sentiment d’évasion dans une histoire se passant dans un autre monde, sans perdre de vue que cette fantaisie doit apparaitre de manière logique à l’intérieur de ce monde. Cela inclut vos personnages !
Ils naissent et vivent dans un univers avec plus ou moins d’éléments hostiles, avec des normes sociales, une famille et des amis (en tout cas, on l’espère pour lui). Pour cette raison, création d’univers et création de personnages sont intimement liées, les deux s’enrichissant mutuellement.
Cet aspect est important, quel que soit le genre de l’histoire. Même si vous écrivez une tranche de vie se passant dans notre monde, aujourd’hui, nous sommes caractérisés par notre pays de naissance, notre position dans la classe sociale, le métier de nos parents et leurs origines, nos études… Nous n’avons pas tous les mêmes connaissances, pas les mêmes codes, pas le même vocabulaire ni la même manière de nous exprimer.
Par exemple, je suis fille de profs de lettres, je n’ai aucun problème à lire du Victor Hugo… par contre, mettez-moi devant un texte de rap et je serai sans doute paumée. Il me manque des codes, du vocabulaire et des clins d’œil à des choses que je ne connais pas. Donc, si vous inventez un ado vivant en banlieue dans une barre de HLM et qu’il s’exprime comme Jean-Eudes du 16e, il y a peu de chances que les lecteurs trouvent ce personnage crédible (ou alors, il va falloir un solide background pour le justifier).
Pour créer un personnage, vous pouvez réfléchir à des caractéristiques comme :
- leur apparence physique
- leur style vestimentaire
- leur manière de parler
- leur mode de vie
- leur manière de gagner/dépenser de l’argent
- leur manière d’interagir avec les autres
- la manière de tomber amoureux ou d’exprimer leur affection
- leur rapport à leur famille
- leurs objectifs dans la vie
- ce qu’ils seront prêts à faire (ou pas) pour y arriver
- leurs plus grandes peurs
Vos personnages auront donc des caractéristiques, des points forts et points faibles, en grande partie grâce ou à cause de leur passé et du monde qui les entoure. Tout cela m’amène à un autre point essentiel pour qu’ils soient crédibles : les défauts.
Comment créer un personnage attachant : qualités, défauts et dosage
Superman ne résiste pas à la Kryptonite, Sherlock Holmes est un génie de déduction, mais aussi un drogué, etc.. Même les personnages les plus forts ont des défauts ou, au minimum, des points faibles. S’ils étaient parfaits en tout point, ce serait non seulement pas très crédible, mais en plus… plutôt ennuyeux.
Vous connaissez le dicton « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ? C’est exactement l’idée ! Si le personnage est tellement fort que le monde entier ploie devant lui… bah on s’ennuie.
Créer un personnage avec des défauts permet de les descendre de leur piédestal et d’aider les lecteurs à s’identifier plus facilement à eux en les voyant faire des erreurs, quand les faiblesses vont permettre d’augmenter les enjeux de l’histoire et le suspens. Les rôles des défauts et faiblesses sont donc légèrement différents, même si les deux se confondent souvent.
Par exemple, la kryptonite de Superman est un point faible, une limite de sa personne. Cela peut être le besoin de sang d’un vampire, si gentil qu’il puisse être par ailleurs, ou la force physique d’un combattant. Un point faible est généralement difficile à supprimer, le personnage va plutôt chercher un moyen créatif de contourner le problème.
Par contre, manquer de communication ou être prétentieux est un défaut. Ce sont des traits que l’on retrouve plutôt dans le comportement des personnages et dans leurs choix. Ce sont des aspects sur lesquels ils peuvent travailler pour évoluer petit à petit, même si c’est difficile.
Comment choisir ses défauts ?
Créer un personnage avec des défauts pour le rendre plus attachant peut paraître contre-intuitif, et il est vrai qu’il y a quelques pièges à éviter pour éviter de finir avec un héros antipathique, qui est tout le contraire du but recherché en général. Il y a une différence radicale entre quelqu’un de désordonné ou peu ponctuel et quelqu’un de violent et ouvertement raciste. Voici quelques conseils pour doser vos défauts :
- On a les qualités de ses défauts (et vice-versa): un personnage soigneux peut par moments devenir maniaque, un personnage trop autoritaire peut être celui qui mène le groupe à bien dans une situation de crise… Tablez sur des traits de caractère plutôt que des qualités/défauts vous évitera d’additionner des comportements a priori incompatibles (par exemple, maniaque et bordélique, empathique et insensible, etc.) pour rester cohérent.
- Le protagoniste va rencontrer des défis : choisissez des défauts ou points faibles qui vont lui poser problème dans l’intrigue, pour l’obliger à faire des efforts et trouver des solutions. S’il a des défauts, mais qu’ils sont complètement déconnectés de l’histoire, ils n’apporteront pas grand-chose.
- D’expérience, le meilleur moyen d’avoir un personnage attachant, c’est avant tout de le rendre drôle (volontairement ou involontairement). Le lecteur sera dans l’attente du prochain gag, et leur absence peut être pesante s’il disparait de l’histoire.
- Un autre moyen de rendre le personnage attachant et de jouer sur l’identification : il est plus facile de s’identifier à un personnage qui nous ressemble, qui a les mêmes difficultés et les mêmes questionnements. On peut aussi jouer sur l’attachement avec les « défauts mignons », ceux que vous trouveriez attendrissants ou amusants chez vos proches.
- Enfin, on peut jouer sur l’admiration que l’on a envers un personnage. Cette admiration repose beaucoup sur la manière dont le lecteur se perçoit lui-même et sur ce qu’il voudrait être. Cela peut être des valeurs, des qualités innées ou acquises, mais aussi l’admiration de son côté transgressif : « waouh, il fait quelque chose que je n’aurais jamais osé faire, c’est trop classe ».
- Des défauts a priori anodins peuvent devenir graves dans certains contextes ou par accumulation : arriver en retard au ciné, c’est une chose. Arriver en retard au rendez-vous ou les survivants se rejoignent avant de fuir ensemble une apocalypse zombie, c’en est une autre. Regardez comment des défauts qui semblent sans importance peuvent amener des tensions dans l’histoire…
Par exemple, dans Hook, Peter, le père, arrive trop tard pour voir le match de son fils à cause d’une réunion qui s’éternise. Bon, ça arrive. Le problème, c’est que ça arrive tellement souvent que son fils finit par se sentir mal aimé, abandonné, et avoir de la rancoeur pour lui, au point de lui préférer la compagnie du Capitaine Crochet, l’ennemi de son père. Cet enjeu est montré au moment où il détruit la montre que son père lui a offerte.
Créer un personnage, c’est donc lui donner une histoire, des qualités et des défauts, de la manière la plus cohérente possible. Les défauts peuvent être tantôt des causes, tantôt des conséquences des événements passés dans sa vie, et vont influencer ses choix au cours de l’histoire.
À propos des Mary-Sue (et Gary Tsu)
« Mary-Sue est un nom péjoratif donné à un personnage de fiction féminin excessivement idéalisé, très souvent la projection de l’auteur même dans un univers fictif. »
Wikipedia
Quand on parle de créer un personnage féminin, difficile d’échapper à la menace de la Mary Sue. Ce terme, issu d’une fanfiction parodique cherchant à critiquer ce genre de personnages, revient très souvent dans les cercles d’auteurs, et quelquefois chez les critiques de cinéma.
Si on devait résumer la Mary Sue, il s’agirait d’un personnage féminin « insupportablement parfait », qui réussit tout ce qu’elle entreprend et qui est meilleure que les autres au point de faire lever les yeux au ciel à la lecture. Pas très crédible, ni très attachante, donc.
On retrouve une série de caractéristiques courantes :
- Belles et séduisantes, avec souvent un physique hors norme
- Tout le monde les aime (dans l’histoire, du moins)
- Supérieurement intelligentes et talentueuses dans leur domaine, parfois au point de tordre les règles de leur monde
- S’il s’agit de le sauver, c’est elles qui font tout. Le reste du casting est plus ou moins décoratif.
- Rarement confrontées à l’échec (elles réussissent tout ce qu’elles entreprennent)
- Dépourvues de défauts ayant un vrai impact dans l’histoire
- Présentant de nombreuses ressemblances avec leur autrice, au point d’en être un reflet idéalisé
- Bonus passé tragique : si elles ont vécu des malheurs dans leur passé, l’histoire est elle aussi hors norme et probablement insurmontable pour une personne réelle.
L’idée est simple : on en fait des caisses, tellement que la suspension d’incrédulité part faire un footing et que le personnage, censé être admirable, devient détestable. Ce n’est bien sûr pas volontaire, ce genre de personnage est en général écrit par manque d’expérience et de réflexion. Cocher certaines cases de la Mary Sue n’est pas forcément un drame, tout est question de dosage. Il n’y a pas de limite claire, et certaines héroïnes peuvent répondre en grande partie à cette définition tout en étant appréciées…
Je vous déconseille de créer un personnage de ce genre si vous pouvez l’éviter (vous pouvez faire le test de la Mary Sue pour situer votre personnage), mais si j’en parle ici, c’est aussi pour relativiser et rappeler quelques petites choses :
- On parle beaucoup des Mary Sue, mais presque jamais de Gary Tsu (l’équivalent masculin). Beaucoup de sexisme se cache derrière ce terme et certaines personnes parlant de Mary Sue le font pour dévaloriser de jeunes autrices ou critiquer les personnages féminins ayant le malheur de faire autre chose que tomber amoureuses et attendre d’être sauvées.
- La définition de la norme dépend aussi des gens autour : si une caractéristique physique ou un talent est quelque chose de courant dans votre histoire, ce n’est pas pareil que si votre protagoniste est la seule personne au monde capable de faire telle ou telle chose.
- À trop vouloir éviter le cliché de la Mary Sue, on peut vite tomber dans l’excès inverse et avoir un personnage féminin dépourvu de particularités et d’intérêt… ce qui n’est pas mieux.
- Les personnages hors normes, touchés par une prophétie ou sauvant le monde à eux tous seuls, il y en a beaucoup, entre autres en fantasy… et ils ne sont pas forcément détestés pour autant. Certaines de ces caractéristiques se retrouvent chez pas mal de héros de Shonen Nekketsu et sont valorisées par ceux-là mêmes qui critiquent les personnages féminins.
Bref, ce n’est pas parce que vous recevez cette critique qu’elle est forcément légitime, et s’il est utile d’être attentif à ce piège, il ne faut pas en avoir peur au point de l’éviter à tout prix. Car il y a quelque chose qu’il ne faut pas oublier : vous pouvez créer le meilleur personnage du monde, ce qui comptera vraiment… C’est son histoire !
Ce qui rend les personnages intéressants : interactions et récit
On en revient à l’histoire : pour qu’un personnage soit intéressant, il faut avoir l’occasion de le découvrir, de le voir à l’œuvre, d’être surpris, ému, inquiet… Bref, de vibrer pour lui au fil des événements. On revient à la question du tout début : « c’est quoi, le plus important entre le scénario et les personnages ? » Les deux ! Même si vous préférez créer des personnages, votre histoire doit les mettre en valeur pour qu’ils intéressent les lecteurs. Sinon, votre récit risque de devenir une longue fiche de personnage.
L’interaction entre personnage et récit : la clé d’une histoire réussie.
Un protagoniste vit une aventure : à certains moments, des événements lui tombent dessus et le forcent à changer. À d’autres moments, c’est lui qui change le cours des choses. Dans tous les cas, l’un influence l’autre. C’est pour ça que j’ai tendance à penser que les deux se construisent ensemble (je construis d’ailleurs mes personnages et scénarios en même temps, l’un me permettant de faire des choix et d’avoir des idées pour l’autre.)
Plutôt que de faire une fiche de personnage bien propre et figée, vous pouvez réfléchir à ces dynamiques :
- Quels changements les personnages provoquent dans l’histoire ?
- Quels changements vivent les personnages au cours de l’histoire, et par quelles étapes passent-ils ?
Comment les personnages changent-ils ?
Tout le monde a naturellement une forme de paresse qui pousse à continuer à faire comme on le faisait avant et à ne pas trop remettre en question ce qui nous entoure. On peut adorer la philosophie et douter de la réalité du monde, mais pas tout le temps. Penser à TOUT en permanence est impossible. Alors nous mettons donc de côté beaucoup de questions pour nous concentrer sur des choses plus simples et concrètes… sauf quand un événement nous oblige à changer. Cela peut être :
- Un changement dans sa vie : rupture amoureuse, changement de travail, départ en voyage, etc.
- La découverte de quelque chose qui change sa vision du monde (les aliens existent ! :O)
- La mort d’un proche
- La disparition de son environnement familier (expulsion, bascule dans un autre monde…)
- La destruction de notre monde tel qu’on l’a connu
Dans presque tous les cas, il s’agit du deuil de quelque chose, que ce soit une personne, un lieu, des convictions ou des repères. Le personnage qui perd son équilibre doit faire un effort pour en retrouver un nouveau, même si ce n’est pas toujours son but immédiat.
Les chemins sont nombreux, mais on retrouve souvent les mêmes catégories d’objectifs, comme :
- Sauver quelqu’un ou quelque chose (d’un détail anodin à l’univers tout entier)
- Relever un défi ou résoudre un mystère
- Apprendre à se connaître/s’aimer soi-même
- Trouver sa place au sein de sa société
- Surmonter un deuil
- Survivre à une menace
Devenir le plus fort du monde, sauver sa soeur, trouver l’amour ou empêcher des démons d’envahir l’univers, cela peut être autant d’objectifs possibles. Les personnages peuvent avoir plusieurs objectifs en même temps, en changer, les atteindre, ou pas. Ce qui est sûr, c’est que l’histoire les poussera à changer : soit pour les atteindre, soit pour y renoncer. C’est en cheminant vers son but que le personnage évolue, et c’est ce qui fait la différence entre un récit et une bible de projet.
Un moyen de réfléchir à son histoire est de définir les étapes d’évolution pour chaque personnage (au moins les plus importants). Ils peuvent changer différemment, à leur rythme, pour composer un ensemble qui se répartit sur toute l’histoire. Dans certains cas, une stratégie peut être de traiter un aspect important du scénario (comme la maison d’un film d’horreur ou le destin d’un pays) comme tel, avec son propre « arc ».
Dans certains cas, très spécifiques, les héros peuvent ne pas changer de manière notable ou ne pas avoir d'impact sur le récit. Cela fait d'eux des témoins, des narrateurs intégrés à l'histoire... c'est un équilibre délicat, qui reposera surtout sur l'attachement au héros et sur les choses qui évoluent autour de lui. Créer un personnage de ce genre est difficile, je vous conseille d'éviter de vous lancer dans cet exercice avant d'avoir gagné en expérience.
Réussite, échec et karma
Pour qu’une histoire captive, il faut un minimum d’incertitude. Pour que l’on s’inquiète pour le héros, il faut qu’il soit en péril. Un héros trop fort face à des défis trop simples sera très ennuyeux, tout comme un personnage désespérément voué à l’échec. Il faut qu’il y ait des efforts, des doutes, des défaites, à la fois pour que le lecteur s’identifie aux personnages et pour que l’intrigue ait son intérêt. Même si parfois, l’intrigue ne tourne pas autour de « va-t-il y arriver ? », mais plutôt « Comment va-t-il y arriver ? », il y a toujours des questions.
Si vos lecteurs se demandent ce qui va se passer ensuite et comment un personnage va réagir à tel événement, vous avez tout gagné !
La notion de karma est intéressante aussi pour les antagonistes, ou les personnages négatifs. Un personnage détestable au début peut attirer la sympathie en apprenant à se comporter de manière meilleure, mais aussi en subissant des défaites. Un exemple intéressant est celui de Malta dans la série de romans « Les aventuriers de la mer » de Robin Hobb. Au début de l’histoire, c’est une enfant gâtée insupportable. Puis, elle traverse de nombreuses mésaventures qui nous font éprouver de l’empathie d’une part, la font évoluer et mûrir d’autre part.
Le « retour de karma », qu’il soit positif ou négatif, est souvent une source de satisfaction quand on découvre une histoire… mais c’est aussi une leçon de vie pour vos personnages qui peuvent évoluer en fonction de ce qui s’abat sur eux, positivement ou négativement. Un ennemi qui devient une meilleure personne peut être très satisfaisant, quand un personnage apprécié qui tourne mal peut déchirer le cœur des lecteurs (surtout si son évolution est crédible). Un comportement négatif, mais qui s’explique par son vécu et sa vision du monde sera mieux accepté que quelqu’un qui fait le mal de manière inexpliquée et gratuite.
Attention : cela vaut pour l’empathie que l’on veut créer autour d’un personnage, mais rien ne vous oblige à créer de l’empathie autour de vos antagonistes. Au contraire ! Parfois, il vaut mieux créer un personnage mystérieux et imprévisible, pour que ses actes monstrueux et incompréhensibles sèment la peur chez l’ennemi… mais dans tous les cas, il vaut mieux comprendre la logique de l’ennemi pour pouvoir l’écrire de manière convaincante.
Un antagoniste peut être aimé des lecteurs, mais ce sera souvent sous d’autres critères comme l’intérêt qu’il apporte au scénario ou son charisme. Cela peut être un personnage qu’on aime détester, sans qui l’histoire semblerait bien vide, ou bien il peut remettre en question le lecteur parce qu’il partage une partie de ses valeurs tout en ayant un comportement qu’il n’accepte pas.
Enfin, vous n’êtes pas obligés de penser votre histoire en termes de gentils et de méchants. Certaines histoires sont dépourvues de méchants, d’autres présentent toutes une gamme de personnages « gris » qui peuvent être tout aussi intéressant. Mais comment rendre une histoire sans méchants intéressante ? C’est là que la dynamique des relations entre en scène !
Les dynamiques des personnages
C’est un aspect important pour rendre son histoire intéressante, mais surtout attachante : quelles relations ont les personnages entre eux ? Comment apprennent-ils à se connaître, à s’aimer, à se haïr ? Qu’est-ce qui va provoquer des frictions entre eux, ou au contraire, les faire gagner en complicité ? Bref, comment fonctionnent-ils ensemble ?
Cet aspect a son intérêt, tout particulièrement en tranche de vie. Les gens sont liés les uns aux autres de toutes sortes de manières, comme une gigantesque toile d’araignée. Chaque relation peut évoluer au fil du temps, et en regardant de manière plus large, on peut voir des dynamiques de groupe. Par exemple :
- Il est improbable qu’un personnage soit aimé de tous. Qui l’aimera moins ou pas du tout ? Pour quelles raisons ?
- A et B sont très complices, mais qui se coupent des autres au point d’être vus comme snobs ou agaçants.
- A et B sont en opposition, et C est tiraillé entre les deux (conflit de loyauté)
- A se comporte différemment selon les cercles qu’il fréquente, et qui est incapable de rassembler ces différentes facettes pour savoir qui il est
- Des personnages qui veulent « forcer » une relation qu’ils estiment être prometteuse, ou au contraire l’empêcher s’ils la pensent mauvaise.
- A se comportant d’une manière qui ne lui convient pas à cause de la pression de son entourage.
- A qui monte son entourage les uns contre les autres
- Un secret est connu de certains personnages et pas d’autres : comment est-il caché ? Y a-t-il de la fierté ou de la culpabilité autour de ce secret ? Quelle est la réaction de B quand il le découvre ?
- Des relations de jalousie, de la confusion entre relation amicale ou amoureuse…
Avec ce genre d’exemples, je pense que vous commencez à voir que l’on peut faire beaucoup de choses avec les personnages en fonction de ceux qui l’entourent et explorer toutes sortes de facettes. Un peu comme un mot peut changer de sens en fonction du contexte ou il est utilisé ! Prenez le temps d’y réfléchir et de tester toutes sortes de combinaisons pour découvrir les alliances et obstacles possibles. Vous pourriez avoir des surprises intéressantes !
On peut aussi jouer sur l’absence de relations. Un personnage a priori froid pourra se révéler attachant si on lui découvre une relation unique et d’autant plus précieuse. Si on le prive de cette relation, sa solitude sera terrible et pourra provoquer de fortes émotions chez le lecteur.
Conclusion
Comme vous le voyez, créer un personnage crédible, attachant et intéressant, c’est un vaste sujet. Il n’y a pas vraiment de recette miracle, mais plutôt des pistes de travail. Vous pouvez aussi étudier vos personnages préférés pour savoir pourquoi vous les aimez, ou interroger votre entourage ! Et n’oubliez pas que plus vous aurez des personnages variés, plus il est probable que dans le tas, l’un d’eux fasse mouche dans le coeur de vos lecteurs !
Malgré tout, il y a quelques points importants :
- Crédible, attachant, intéressant : ce sont trois aspects, mais vous pouvez en privilégier 2 parmi les trois. Si votre intrigue est passionnante et votre personnage plaisant à suivre, on lui pardonnera plus facilement d’être peu réaliste. Si votre héros n’est pas très sympathique, mais qu’il est intéressant à suivre et que le lecteur y croit, il pourra le suivre malgré tout. etc.
- La crédibilité dépend beaucoup du genre, mais il reste essentiel de respecter les bases que l’on a soi-même posées plus tôt dans l’histoire pour ne pas rompre la suspension d’incrédulité.
- Un personnage ne sort pas de nulle part : il nait dans un certain univers et a une histoire, qui le façonne, oriente son caractère et ses motivations.
- Un héros trop parfait, qui réussit sans effort, aura peu d’occasions de changer et manquera vite d’intérêt pour les lecteurs. Soignez les faiblesses, les défauts et les blessures !
- L’intérêt d’un personnage est indissociable de l’histoire. C’est en le mettant en scène que vous donnez l’occasion au lecteur d’en découvrir plus sur lui.
- Les personnages ne sont pas des objets : ils ont des émotions, mais aussi des motivations, même si elles ne sont pas forcément dévoilées. Évitez d’écrire des PNJ qui n’existent que pour faire avancer l’histoire et n’ont aucune volonté propre.
- Ce qui enrichit une histoire, c’est aussi les relations. Soignez cet aspect pour les rendre plus attachants et le faire évoluer en douceur.
- Un antagoniste peut être aimé pour son charisme, la manière dont il amène le chaos et rend l’histoire intéressante. N’ayez pas peur de créer un personnage que l’on aime détester !
- Et enfin, on ne peut pas plaire à tout le monde ! Vous rencontrerez sûrement des lecteurs qui n’aiment pas un personnage, que ce soit le vôtre ou celui que vous adorez. Si vous les écoutez pour apprendre pourquoi, vous découvrirez peut-être des critiques constructives, mais dans certains cas, les raisons pour lesquels vous l’aimez sont justement celles qui font qu’il déplait à d’autres.
J’espère que cet article de conseil d’écriture vous aura plu et vous aura donné des pistes de réflexion pour créer un personnage. La prochaine fois, je vous partagerai des conseils pour l’écriture de dialogues, et tout particulièrement de dialogues de BD, mais vous pouvez lire mon article sur le choix des noms de personnage en attendant !
Vraiment très bon article, merci et bravo pour cette rédaction c’est vraiment très utile!